11/03/2013
François VENOT et les "Tribus"
Déjà, en 1937, Henri Lhote écrivait dans un petit ouvrage consacré au Sahara
[1] : "Les Mzabites sont des Berbères. Ce sont les puritains de l'islam, ils furent persécutés par leurs coreligionnaires et durent s'enfuir au désert pour conserver leur orthodoxie. Au creux d'une hamada rocailleuse et aride ils surent, par un travail acharné, faire sortir, comme des magiciens, un groupe prospère d'oasis dont Ghardaïa est la capitale. Les mœurs des Mzabites sont empreintes d'une grande austérité ; ils n'admettent aucune dérogation à la loi de Mahomet, se marient strictement entre eux, soustraient leurs femmes aux yeux de qui n'appartient pas à leur tribu, et leurs villes sont autant de petites forteresses où il est impossible, après la tombée du soleil, de pénétrer sans montrer patte blanche."
À cette époque, je ne m'étais guère préoccupé de la question du tribalisme dans le fonctionnement des États, thème que j'aborderai ci-après à propos de l'Afrique subsaharienne. Cependant, il était clair que les Mozabites formaient un groupe ethnique berbère bien identifié, de même que les Kabyles. Cette question est d'ailleurs toujours (en 2011) à l'ordre du jour au Maghreb comme au Machrek[2], selon les informations qui parviennent de la guerre civile en Libye, par exemple. Les parties en présence au conflit se déterminent sur des bases tribales et le sort du colonel Kadhafi se joue en fonction de ses alliances ou mésalliances tribales, une fois jouée la partition des bombardements de l'OTAN.
Je terminai mon premier séjour de longue durée dans un pays et une culture radicalement différents, sur un sentiment mi-figue, mi-raisin. La francophonie des cadres et techniciens facilitait les choses, mais le Français plein de bonne volonté et d'idéologie tiers-mondiste n'était pas accueilli à bras ouverts comme il aurait pu le croire. Les séquelles psychologiques de la guerre y étaient pour beaucoup, ainsi que la difficile reconstruction d'une société nouvellement indépendante.
Déjà se posait la question qui me poursuivra pendant tous mes voyages et séjours ultérieurs : quelle doit être et que peut être la coopération technique entre anciens colonisateurs et anciens colonisés ? Jusqu'où peut aller la conception du développement par des acteurs de facto étrangers ? Les Africains, ici il ne s'agissait encore que des Africains du Nord, allaient-ils prendre en charge eux-mêmes leur projet de société, forcément nouvelle ?
Voyages dans le vieux monde 1947-2010
Société des Écrivains, 2012
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30/11/2012
Souvenirs de TEBESSA (Jean-Claude FARCY)
Jean-Claude Farcy, Flers le 22 novembre 2008
Quel copain ou copine avez vous retrouvé et comment ?
J'ai retrouvé un collègue enseignant coopérant en Algérie, après qu'il ait essayé de me joindre plusieurs fois au téléphone, sans savoir si j'existais encore, et en appelant au hasard dans la région où il pensait que je vivais, compte tenu des conversations que nous avions eues à l'époque.
Pourquoi cet instant était-il particulièrement surprenant, drôle ou émouvant ? Racontez-nous.
J'ai tardé à répondre à ses appels, le N° de téléphone m'étant inconnu. Après des recherches sur annuaires, j'ai pu l'identifier et l'ai appelé à mon tour. Il n'y croyait plus, car 44 années s'étaient écoulées sans nouvelles réciproques alors que nous étions très proches à l'époque. Nous pensions fréquemment l'un à l'autre, mais sans espoir de se revoir un jour. Nous nous sommes rencontrés à mon domicile, en 2005, et avons évoqué nos carrières et vies familiales avec une grande émotion. En 1961, date à laquelle, nous nous sommes connus là-bas, enseignants au titre de la coopération, dans le cadre des accords d'Evian, nous avions l'un et l'autre, une vingtaine d'années. Rien n'était structuré dans ce pays qui sortait de 7 années de guerre et ce service de coopération était, au début, une galère: pas de salaires les premiers mois car les services n'étaient pas encore opérationnels, etc... C'était réellement une Aventure (avec un grand A) que nous vivions l'un et l'autre. Aujourd'hui nous sommes retraités et grands-parents, sans avoir eu un seul contact entre ces 2 périodes. Les retrouvailles ont été particulièrement émouvantes. Le rappel de nos souvenirs communs et de l'expérience vécue en Algérie, juste après le cessez-le-feu de 1962 ont ravivé beaucoup de souvenirs, moments heureux, passages difficiles ; nous nous sommes remémoré nos contacts avec nos élèves, presque aussi âgés que nous (nous étions alors 2 jeunes partis sans expérience de la vie et livrés à nous-mêmes, dans un pays supposé nous être hostile à cette date). Nous nous étions quittés un peu brutalement, en 1964, car j'ai dû être rapatrié en France, pour raisons médicales, et je pensais pouvoir reprendre mon poste, mais ce ne fut pas le cas. Lui, a continué sa carrière itinérante de Coopérant à travers le monde (Afrique, Madagascar notamment). Nous ne nous étions jamais revus ni contactés.
Et maintenant, avez-vous gardé le contact ? Cette rencontre a-t-elle changé quelque chose dans votre vie ?
Nous continuons effectivement à correspondre par internet et parfois au téléphone. Nous essayons de nous rencontrer le plus souvent possible, mais la distance est un frein.
Cette rencontre a éveillé en moi un peu de nostalgie et, ayant gardé la liste de mes élèves algériens de l'époque, j'ai adressé une lettre au maire de la ville où nous exercions en Algérie (Tébessa) en y joignant cette liste. Mon courrier a été diffusé là-bas et une dizaine d'élèves ont repris contact avec moi par courrier dont un par téléphone. Ils sont tous sexagénaires, souvent retraités. L'un est même Préfet. Là encore mon émotion a été grande de pouvoir lire les lettres souvent touchantes de ces garçons devenus hommes.
Source :
http://copainsdavant.linternaute.com/temoignage/temoignag...
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10/07/2012
Hélène MISSET, Coopérante avant l'heure (1960)
Une aide-soignante bénévole
Quelques jeunes pieds-noirs sont venus dans les SAS en Kabylie donner la main pendant les vacances, mais en nombre assez limité. Je suppose qu'ils devaient être plus nombreux en pays arabe où, étant majoritairement arabisants, ils étaient plus utiles qu'ici. À Beni-Douala, pendant deux étés, en 1958 et en 1959, le fils aîné du docteur Gardel d'Alger, Louis Gardel* et deux ou trois de ses camarades étudiants, sont venus coiffer le calot rouge du goum pendant quelques semaines.
Au printemps 1960, nous avons eu la surprise de recevoir une lettre d'une jeune Parisienne, étudiante à Science-Po se recommandant de Louis Gardel. Elle demandait à Hélène de bien vouloir accepter son aide au dispensaire pendant les trois mois de vacances scolaires. Ayant quelques notions de secourisme, elle se déclarait volontaire pour n’importe quelle besogne, son désir étant de servir. Renseignements pris, il s'agissait d'Hélène Misset, fille d'un des directeurs généraux des ciments Lafarge. Nous avons, bien entendu, accepté, mais j'ai tenu à entrer en contact avec ses parents, non pas pour dégager mes responsabilités mais pour les informer que l'entreprise n'était pas sans risque. Père et mère se sont déclarés conscients et solidaires de la démarche de leur fille et c'est avec beaucoup de joie que nous avons inscrit Hélène-Christine Misset sur nos contrôles début juillet : elle sera rebaptisée Christine, de son second prénom, pour éviter une homonymie dans le service !
Elle a donc connu la vie de nos villages en plein renouveau, profitant de leur premier été en paix depuis cinq ans et vécu avec nous cette période très mouvementée de la transformation du quartier et de la montée en puissance de la SAS ! En août, Madame Misset (mère) nous a fait le plaisir de rendre visite à sa fille et s'est dite ravie de son séjour dans ce pays kabyle, un monde ignoré du plus grand nombre. Christine ne nous a quittés que courant octobre sans accepter quelque dédommagement financier que ce soit, même symbolique. Hélène (mon épouse) m’ayant soufflé qu'elle souhaitait effectuer son retour par bateau, le nécessaire a été fait pour qu'elle bénéficie d'une « cabine de luxe », petit cadeau qu'elle n'a pas pu refuser...
Hélène-Christine Misset est, à ma connaissance, une des rares jeunes filles métropolitaines à avoir consacré, volontairement et à ses frais, trois mois de vacances d'été au travail et au dévouement dans le dispensaire d'une SAS de la montagne kabyle. Questionnée sur ses motivations, elle répondait en toute simplicité :
« Les soldats français sont là, Hélène aussi, alors pourquoi pas moi ? »
Merci, Christine !
*Louis Gardel s'est rendu célèbre en écrivant le roman Fort Saganne (1980)
Extrait du livre de Georges OUDINOT
UN BÉRET ROUGE EN KÉPI BLEU
CHAP5: VERS LE RÉFÉRENDUM DE JANVIER 1961
08:23 Publié dans 2-SOUVENIRS, SOUVENIRS ... | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook
26/06/2012
Hommage à Maurice et Danielle DAGUET (Chabane OUBADJA)
"… Je quitte ce logement préfabriqué, pour aller dans une maison vide habitée par des rats, située entre l'école et le poste militaire, au dessus du café maure. Je fais visiter à deux citadines venant de Genève, deux jeunes filles qui viennent de terminer leur études d'assistantes sociales et décident, avant de s'installer, de donner une année à la mission Rolland (protestante). Elles prennent des photos et ne semblent pas impressionnées.
Un jour de congé, Danielle (une des deux filles) est venue m'aider à creuser un trou derrière la maison pour les toilettes (ne parlons pas encore de salle de bain). Pendant que nous avions pelle et pioche en mains, Monsieur Mouhoub Ahmed est venu nous voir et nous a proposé de regarder en face.
" Il y a une maison beaucoup plus confortable : venez-y ; vous serez mieux ".
" Merci monsieur ! "
Celle qui est devenue ma femme par la suite n'aurait pas accepté d'habiter cette maison pleine de rats. "
Témoignage de Maurice DAGUET
Ces lignes n’ont pas pour but de chanter un âge d’or passé que le présent devrait retrouver. Mais juste pour rendre un grand hommage à ces hommes et femmes qui ont tout donné, sans calcul et sans contrepartie à l'image de ce grand maître d'école Maurice DAGUET et sa femme Danielle qui assuraient deux fonctions : enseignement et assistante sociale pour la population de la région. Ils étaient généreux, volontaires, compétents et respectueux. J’ai eu la chance d’être élève à l’école de Tahanouts à cette époque pour bénéficier de ses instructions et formations, ses cours et surtout ses conseils de moralité, de conduite, de respect de soi et des autres… beaucoup de bonnes choses de lui que plusieurs générations gardent encore en mémoire.
(Maison des Jeunes d'Aït Aïssa Mimoun)
Hommage aussi à Zaïf Si Mohand Ouali, qui a enseigné dans les années 50, sans pécule, sans contrepartie et dans des conditions lamentables pour gérer un effectif de 94 élèves où chacun commençait par laver sa planche rectangulaire (louh) avant de l’enduire de « salsal », une sorte d’argile gris-clair. Ensuite, l'élève met sa planche à sécher face au soleil ; une fois sèche, elle prend la couleur du « salsal ». Il commence alors à écrire les versets du coran dictés par M. ZAÏF.
L’écriture se fait à l’aide d’une encre fabriquée à partir d’une substance naturelle, une sorte de résine (smagh) et d’une plume taillée dans un morceau de roseau. Lorsque l’apprenant a fini d’écrire ce qu’il doit mémoriser ce jour-là, il met les voyelles à son texte et remet sa planche au maître qui corrige éventuellement les erreurs.
C’est alors que commence l’apprentissage des versets du coran. Le maître explique à son disciple les règles de phonétique pour avoir une meilleure prononciation et une lecture correcte avec un accent kabyle du coran. Le balancement cadencé des phrases, l'abondance des rimes, l'alternance de syllabes brèves et longues produit sur l'esprit du passant qui écoute à proximité de Thakoravthe N T'hanouts un effet d'envoûtement.
…
Tous ces hommes et ces femmes constituent les maillons d'une immense chaîne de solidarité rappelant à chacun son devoir d'être humain.
Hommage à des hommes et des femmes exceptionnels par Chabane Oubadja. (Extrait)
08:25 Publié dans 2-SOUVENIRS, SOUVENIRS ... | Lien permanent | Commentaires (10) | Facebook
16/06/2012
Une année à Douéra (Serge NOAILLE) 2
…
Ce qui est formidable avec les enfants, c’est la vitesse de récupération. Deux mois plus tard, Tarik partait. Comme cadeau de départ, je lui offris un ballon.
- Bon ! Tarik, la semaine prochaine, je viens te chercher, on ira sur la plage jouer au foot, d’accord ?
- Ouais…
- Et on ira manger une glace à Sidi-Ferruch !
- Ouais…
- Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ?
- Comme toi !
- Super, alors il faut aller à l’école et travailler ! Et tu sais toutes les écoles sont pareilles, à Blida où ailleurs, c’est pas marrant tous les jours. Mais si tu es bon élève, tu pourras ensuite revenir ici pour apprendre à faire comme moi !
- C’est vrai ? Tu m’apprendras ?
- Ah, moi, non ! je ne serai plus là, mais il y a plein de kinés sympas ici, tu verras.
- Oui, mais toi, c’est pas pareil.
- Et pourquoi ? Je ne suis pas plus fort que les autres, tu sais.
- Toi tu es gentil, et puis… je t’aime…
J’ai fait un effort surhumain, mais je ne réussis pas à les empêcher de couler sur mes joues, pas plus que je ne réussis à les lui cacher.
J’éclatai d’un rire un peu bizarre, et ajoutai :
- Moi aussi, je t’aime, idiot ! N’oublie pas que, même quand je serai parti, je saurai toujours ce que tu fais. Et t’as intérêt à ce que je sois fier de toi !
- Et comment tu sauras ?
- Je me ferai envoyer tes fiches par le directeur.
- N’importe quoi !
- On parie ?
- Pfff…
- Écoute, ce qui est sûr, c’est que je penserai à toi et que je vais me dire souvent : « Tarik, il va réussir à devenir kiné ! ». Alors, tu ne me déçois pas, O.K. ? Et puis peut-être qu’un jour je reviendrai ici, et qu’on pourra travailler ensemble ?
- Tu ne reviendras pas.
- On parie ?
- Tu es tout le temps en train de parier, toi ! Mon père, il disait : « Parier c’est du hasard. Et le hasard, c’est jamais sûr ! »
- Il était sage ton père. Le mien, il dit : « Le hasard fait parfois bien les choses ! »
- Ah, tu vois : PARFOIS ! Ça veut dire que c’est pas sûr!
- Ce qui est sûr, c’est que tu commences à m’énerver ! Allez, n’oublie pas, la semaine prochaine…
(À Douéra : Photo OMS 1964)
J’allai le voir chaque mois jusqu’à mon départ. Il allait mieux. Ma dernière visite, je ne pus l’honorer pour des raisons indépendantes de ma volonté. Et tu avais raison, Tarik, je ne suis jamais revenu te voir. Mais souvent je pense à toi. Et j’espère très fort que tu es devenu l’homme libre que j’avais entrevu dans ton regard et que l’image du jeune homme que je t’ai laissée de moi t’aura aidé à marcher droit dans la vie… Tu dois avoir quarante et un ans aujourd’hui… Qui sait, peut-être sommes-nous confrères !
Serge NOAILLE
Une année à Douéra
Éditions Jacques Flament
2012
Collection VARIATIONS NOMADES
07:58 Publié dans 2-SOUVENIRS, SOUVENIRS ... | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook