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27/09/2014

Guy Barrère à Idélès (Sahara)

Coopération

En vacances, les monitrices coupèrent court les cheveux des fillettes pour faciliter les soins à y apporter après les bains de mer Le mois de vacances se déroula dans l'insouciante gaieté. Mais le retour au village marqua la consternation chez les parents. Comment a-t-on osé attenter aux tresses, ce symbole de la beauté féminine si souvent célébré dans les poésies touarègues ?

Et à la rentrée d'octobre pas une seule fille à l'école. J'expliquai que ce n'était pas un attentat, que les cheveux repousseraient... sans résultat. J'imaginai alors la confection d'un faux et de son usage (à l'insu de la Justice, bien sûr !). Je tapai à la machine une lettre à l'en-tête suivante :

République algérienne démocratique et populaire

Ministère de l'Education et de la Culture

Inspection académique de...

J'y demandai aux parents le retour impératif des filles à l'école. Et je signai : illisible.

À la réception de cette mise en garde, les récalcitrants restèrent perplexes, ils hésitaient. Je profitai de ce flottement pour faire savoir aux mères de famille qu'aux prochaines vacances je m'engagerais à empêcher le départ des filles en colonie. Ai-je été persuasif ? Ai-je usé de mon autorité morale ? Ai-je inspiré confiance ? Toujours est-il que les fillettes reprirent le chemin de l'école.

L'arabisation progressive de l'enseignement justifia la nomination d'un premier maître arabisant Aïssa Alouane. Quoiqu'âgé de 63 ans, celui-ci faisait ses débuts dans l'enseignement public, après avoir, il est vrai, enseigné dans des institutions privées (surtout en Tunisie). Né à Ghardaïa, il avait vécu à Sétif chez des parents négociants en tissu au coin des rues Sillègue et Valée. Ses pérégrinations l'avaient conduit en Allemagne pour son service militaire, au Moyen-Orient où il vivait de travaux de menuiserie et même en Israël, qu'il avait traversé clandestinement.

La population scolaire augmentait d'année eu année par suite du nombre croissant des garçons, de la scolarisation des filles et du fonctionnement de l'internat. Cette augmentation des effectifs provoqua des créations de postes d'enseignants (certes pas toujours pourvus). Ces nominations nouvelles firent que, de chargé de classe unique, je devins, sans l'avoir demandé, directeur à plusieurs classes. J'arrivai progressivement à diriger six classes nominales un maître pour chacune des deux premières années entièrement arabisées et quatre maîtres, dont deux francisants, pour les grandes classes.

À chaque renouvellement de contrat, j'étais maintenu dans les fonctions de directeur jusqu'au jour où les postes d'autorité de l'enseignement primaire furent algérianisés. Je restais en coopération mais je n'étais plus nommé directeur. Par ailleurs, la direction ne fut attribuée à aucun de mes collègues. C'était là une astuce d'Ahmed Benhabylès, inspecteur d'académie à Ouargla, qui lui permettait de me laisser diriger l'école. Je pris alors l'initiative de former un comité de direction avec mes jeunes collègues qui, n'entendant rien aux tâches administratives, me laissèrent entière liberté d'action Je continuais comme par le passé à remplir des états, à rédiger des rapports que j'envoyais à mes supérieurs sous ma signature. Cependant, au lieu de signer après la mention « Le directeur », je le faisais parfois sous l'indication anonyme de « La direction ».

Au cours de ces années de direction, j'ai vu défiler un nombre important d'adjoints qui ne restaient à leur poste qu'une année scolaire, quand il leur arrivait de la terminer. Jeunes et débutants, ils venaient pour la plupart du Sahara septentrional ou du Tell et supportaient mal le dépaysement accentué par l'isolement. Il y en eut pourtant qui n'éprouvèrent aucune angoisse à séjourner dans le vif des mystères du légendaire Ahaggar. Ainsi fut Abdelkrim Touami, originaire de Tam où son père, le Khodja (titre honorifique pour désigner l’Imam) Abdelkader avait été secrétaire interprète à l'Annexe. Il enseigna quelque temps avant de prendre la gérance régionale des cantines scolaires, puis d'occuper avec compétence le poste de Consul d'Algérie à Agadez, au Niger. Ainsi fut aussi Jacky Moisan, qui avait exercé pendant de nombreuses années à Akabli, près d'Aoulef, avant de venir à Idélès. Il partit plus tard en coopération en Afrique subsaharienne et même, en URSS (eh oui !). Il fut mon dernier collègue francisant. Sa mutation me laissa seul à enseigner le français pour toute l'école, Je dénombrai alors 80 élèves pour quatre classes, qui auraient nécessité plus de quarante heures de cours de français par semaine. Je modifiai donc l'organisation pédagogique de l'école pour prodiguer mon enseignement sur trois niveaux pour la trentaine d'heures hebdomadaires des horaires officiels.

Cette compression du personnel français découlait de l'extension progressive de l'arabisation. Tout d'abord ce fut la première année qui se trouva exclusivement arabisée. Puis ce fut au tour de la deuxième année. Dans le même temps, dans les grandes classes du primaire, on enseigna en arabe l'histoire et la géographie, puis les sciences naturelles. Enfin on fit de même pour le calcul quand les arabisants étaient en nombre suffisant pour s'en occuper.

L'expansion de l'arabe produisit une réduction graduelle de l'enseignement en français pour ne plus aboutir qu'à l'enseignement de la langue elle-même.

 

BARRERE_maitre-d-ecole-au-sahara_2014.jpgGuy Barrère

Maître d'école au Sahara de 1947 à 1978.

 

Éditions L'Harmattan. 2014