16/06/2012
Une année à Douéra (Serge NOAILLE) 2
…
Ce qui est formidable avec les enfants, c’est la vitesse de récupération. Deux mois plus tard, Tarik partait. Comme cadeau de départ, je lui offris un ballon.
- Bon ! Tarik, la semaine prochaine, je viens te chercher, on ira sur la plage jouer au foot, d’accord ?
- Ouais…
- Et on ira manger une glace à Sidi-Ferruch !
- Ouais…
- Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ?
- Comme toi !
- Super, alors il faut aller à l’école et travailler ! Et tu sais toutes les écoles sont pareilles, à Blida où ailleurs, c’est pas marrant tous les jours. Mais si tu es bon élève, tu pourras ensuite revenir ici pour apprendre à faire comme moi !
- C’est vrai ? Tu m’apprendras ?
- Ah, moi, non ! je ne serai plus là, mais il y a plein de kinés sympas ici, tu verras.
- Oui, mais toi, c’est pas pareil.
- Et pourquoi ? Je ne suis pas plus fort que les autres, tu sais.
- Toi tu es gentil, et puis… je t’aime…
J’ai fait un effort surhumain, mais je ne réussis pas à les empêcher de couler sur mes joues, pas plus que je ne réussis à les lui cacher.
J’éclatai d’un rire un peu bizarre, et ajoutai :
- Moi aussi, je t’aime, idiot ! N’oublie pas que, même quand je serai parti, je saurai toujours ce que tu fais. Et t’as intérêt à ce que je sois fier de toi !
- Et comment tu sauras ?
- Je me ferai envoyer tes fiches par le directeur.
- N’importe quoi !
- On parie ?
- Pfff…
- Écoute, ce qui est sûr, c’est que je penserai à toi et que je vais me dire souvent : « Tarik, il va réussir à devenir kiné ! ». Alors, tu ne me déçois pas, O.K. ? Et puis peut-être qu’un jour je reviendrai ici, et qu’on pourra travailler ensemble ?
- Tu ne reviendras pas.
- On parie ?
- Tu es tout le temps en train de parier, toi ! Mon père, il disait : « Parier c’est du hasard. Et le hasard, c’est jamais sûr ! »
- Il était sage ton père. Le mien, il dit : « Le hasard fait parfois bien les choses ! »
- Ah, tu vois : PARFOIS ! Ça veut dire que c’est pas sûr!
- Ce qui est sûr, c’est que tu commences à m’énerver ! Allez, n’oublie pas, la semaine prochaine…
(À Douéra : Photo OMS 1964)
J’allai le voir chaque mois jusqu’à mon départ. Il allait mieux. Ma dernière visite, je ne pus l’honorer pour des raisons indépendantes de ma volonté. Et tu avais raison, Tarik, je ne suis jamais revenu te voir. Mais souvent je pense à toi. Et j’espère très fort que tu es devenu l’homme libre que j’avais entrevu dans ton regard et que l’image du jeune homme que je t’ai laissée de moi t’aura aidé à marcher droit dans la vie… Tu dois avoir quarante et un ans aujourd’hui… Qui sait, peut-être sommes-nous confrères !
Serge NOAILLE
Une année à Douéra
Éditions Jacques Flament
2012
Collection VARIATIONS NOMADES
07:58 Publié dans 2-SOUVENIRS, SOUVENIRS ... | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook
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