Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/11/2020

Le contexte socio-culturel à la veille de la décennie noire (Jean-claude FOURNIER)

"Akli était de retour à Béjaïa, après avoir disparu des radars pendant plusieurs mois. En son honneur, une soirée musicale fut organisée, à laquelle participaient sa petite confrérie de percussionnistes et instrumentistes berbères. Il surgissait de nulle part, muni d’une barbe digne d’un marabout du désert. Il était vêtu d’une djellaba, ce qu’il n’avait pas coutume de faire avant sa retraite au cœur des sables éternels. Il avait changé. Son regard semblait porter au loin plutôt que se fixer sur ses interlocuteurs. Pressé de questions sur son séjour dans le sud, il avoua qu’il avait été pris en main par un cheikh chargé de le réconcilier avec l’islam et de donner un sens à sa vie. Il refusa l’alcool qui lui était servi et se lança dans une sorte de sermon d’où il ressortait qu’il était transformé, qu’il n’aspirait plus au confort matériel, mais à se rapprocher de son créateur. Rien de fondamentaliste ne transparaissait dans son discours, qui n’était pas si différent, à bien y réfléchir, de celui auquel il avait habitué son entourage et ses anciens amis gauchistes français. Il se fit un peu engueuler lorsqu’il demanda à boire une gazouze au lieu de pastis. Il ne refusa pas de pousser la chansonnette kabyle et de s’accompagner à la guitare. Malgré la bonne humeur, son retour au sein de sa propre religion, avait jeté un froid, parmi ses amis kabyles plus que chez les coopérants à vrai dire. Ces derniers s’étaient expliqué la chose avec une certaine philosophie, d’autant plus que les anciens babas cools occidentaux étaient accoutumés à ce genre de discours, à la hippie californienne. Cette étape était un passage obligé avant de rentrer dans le rang, de trouver un boulot et de fonder une famille tout en n’abandonnant pas leurs habitudes vestimentaires et leur rejet, (de principe plus que réel) de la société de consommation. Ce qui surprit le plus, dans son attitude, c’est lorsqu’il prit Leila à part pour lui recommander de régulariser « au plus vite » sa situation avec Serge, car elle ne pouvait pas « continuer à vivre dans le péché. » Serge interpréta cela comme pour une boutade au énième degré. Dans cette démarche, il vit également un conseil censé les protéger, elle et son amant, de toute vendetta fomentée par son ex-mari et ses fils. En revanche, l’ancienne prostituée s’était montrée inquiète, pour Akli et pour son couple. Le retour du cousin dans le giron de l’Islam, bien qu’elle fût croyante et pratiquante à ses heures elle-même, lui rappelait que l’on ne se soustrayait pas impunément au poids des traditions."

 

Jean-Claude Fournier


Passage extrait de ces livres :

 

"1984 Les oranges amères de Petite Kabylie." (version française)

Fournier_Oranges_couv.jpg

 

"Le fou de Leila." (version algérienne)

FOURNIER_Fou_couv.jpg