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09/03/2016

Jean-Marie Delavaux à l’Université de Constantine

 

À l'université de Constantine, ce sera à nouveau un Français qui lui désignera le chemin.

Agrégé de philosophie, docteur ès lettres, professeur en sciences humaines, psychiatre, Jean Laplanche, à l'apogée de sa carrière, enseigne la psychologie à Paris-VII.

Une seule exigence a guidé ce parcours hors du commun : rejeter toute idée reçue, ne jamais cesser de se remettre en question, lui et sa vision du monde.

La philosophie, les lettres, pour aboutir à la psychologie... N'est-ce pas très exactement la voie sur laquelle s'est engagé l'étudiant boulimique de connaissances, passionné de tout et qui se sent parfois... citoyen de l'univers ?

Découvrant Pauvre de Jean Laplanche, Malek ne cesse de s'émerveiller. Le plus extraordinaire étant que ce dernier, toujours à la recherche de pistes nouvelles, fait résolument le parallèle entre la psychanalyse et l'astronomie. Il ne cesse de monter sur le toit de la « maison-homme » pour, « se faufilant entre les astres », parvenir à une meilleure connaissance de l'être humain.

Malek a trouvé son guide.

De cette maison-homme, au cours de ses deux dernières années d'université à Constantine, tandis que s'élèveront toujours plus haut les murs de la mosquée El-Emir Abdelkader, vêtu d'une blouse blanche, Malek explorera avec compassion les pièces les plus obscures en pratiquant la psychiatrie lourde au CHU de la ville du vautour. Et souvent, devant tant de souffrance, il s'interrogera : « Pourquoi eux ? Pourquoi pas moi ? »

Parce que ce gong, ces sonneries, ce cri en lui, qui, depuis ses plus jeunes années, lui ont ordonné

« Avance si tu veux t'en sortir. »

 

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Malek a été surnommé malicieusement le « chapelet des seize ». Seize, la meilleure note donnée à un étudiant pour tout ce qui n'est pas du domaine des sciences et des mathématiques.

Il a affaire à deux sortes de professeurs : ceux qui sont à l'aise avec eux-mêmes et que sa réussite comble ; et les autres, pour qui ses facilités sont une injure à leur propre médiocrité.

Par bonheur, son professeur principal, un Français, Jean-Marie Delavaux, appartient à la première catégorie. Petit-fils de pieds-noirs, fils de commerçants installés à Toulon depuis la guerre d'indépendance, il n'a eu de cesse de revenir, ses études terminées, dans le pays dont sa famille ne savait parler que les larmes aux yeux et, dans la voix, une colère qui dénonçait l'amour.

Une dizaine d'années seulement de plus que ses élèves, bel, homme aux cheveux blonds et aux yeux verts, le professeur Delavaux n'est pas sans provoquer un certain émoi dans les rangs de ses étudiantes. Hélas pour celles-ci, il est marié et père comblé de deux enfants.

Quelques semaines avant les examens, il a convoqué Malek dans son bureau. Après l'avoir félicité pour son travail, il a manifesté son désir de le voir venir un jour enseigner à ses côtés à Constantine. Pour cela, Malek devra obtenir, en France, un doctorat en psychologie : trois années d'études supplémentaires ; s'il en est d'accord, son professeur se fait fort de lui obtenir la bourse nécessaire.

Malek en est d'abord resté sans voix : la France ? Depuis toujours il rêve de connaître ce pays qu'il sent le sien au même titre que l'Algérie. Et, « docteur en psychologie », lui ? Le seul frein au bonheur qui bouillonne dans sa poitrine, ce sont les « trois années ». Toute sa famille attend avec impatience son retour à Skikda, persuadée qu'il enseignera au lycée. Comment prendront-ils la nouvelle ? Il anticipe la peine dans les yeux de Zohra.

Penché vers lui, un sourire d'encouragement aux lèvres, Jean-Marie Delavaux semble suivre son combat intérieur.

—    Encore faut-il que je réussisse mes examens, s'efforce de plaisanter Malek.

—    Faisons comme si !

 

Malek

Janine BOISSARD

Éditions Fayard
2008

 

Pages 201-202 et 207-208

 

 

01/03/2016

Abdelwaheb, l’Égyptien au Collège de Skikda

Une majorité d'enseignants viennent à présent de pays frères : Syrie, Liban, Égypte. Émerveillé, Malek découvre la riche civilisation qui est la sienne et dont la poésie, qu'il aime tant, irrigue abondamment les racines. Peu à peu, les élèves deviennent bilingues.

En ce jour de rentrée, un joyeux brouhaha règne dans la classe où, sous l'œil indulgent du surveillant, les amis se retrouvent et se racontent leurs vacances, lorsque le directeur apparaît, accompagné d'un tout jeune homme au fin visage et au regard ardent.

Comme la plupart des maîtres — on les appelle aussi « cheikh » —, il est vêtu à l'occidentale, mais, à la cravate ou au nœud papillon, il a préféré le cordon de cuir lâche « à la cow-boy ».

–    Il ne lui manque que le chapeau, glisse malicieusement Didouche à l'oreille de Malek qu'il a, bien sûr, choisi comme voisin.

–    Je vous présente M. Abdelwaheb, annonce le directeur. Il nous vient d'Égypte. Nous sommes heureux et fiers de l'accueillir dans notre établissement. Il sera votre professeur principal ainsi que celui d'arabe.

Professeur principal ? Si jeune ?

Le directeur reparti, les élèves reprennent place sur les bancs. Abdelwaheb commence par leur parler du programme, qui, l'espère-t-il, les mènera tous à obtenir leur brevet. Certains élèves bâillent déjà. Lorsque le cheikh se lève et descend de l'estrade, l'attention revient. Son regard parcourt les rangs, s'arrête un instant sur chacun, un regard éclairé par une flamme de défi que Malek croit reconnaître.

  • Certains d'entre vous s'intéressent-ils au théâtre ? lance-t-il de but en blanc.

 

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La même bourrasque qui, un jour de rentrée à l’école primaire, avait propulsé Malek au tableau pour y dessiner son oiseau le soulève. Il crie

–    Moi, maître !

Un rire court dans la classe. Il redouble lorsque, dans la foulée, Mahmoud et Didouche lèvent la main : on n'en attendait pas moins des trois mousquetaires.

–    Eh bien, voilà un bon début ! constate le maître avec humour.

Lorsqu'il apprend à ses élèves qu'il a l'intention de monter une pièce à laquelle participeront les filles du lycée voisin, toute la classe se porte volontaire. Mais quand il ajoute que les répétitions seront prises sur les jours de congé et qu'en aucun cas le théâtre ne devra être prétexte à négliger le travail, un certain nombre de mains retombent

Enfin, il révèle aux lycéens le nom de la pièce choisie On ne badine pas avec l'amour, du poète Alfred de Musset.

Puis il retourne à son bureau : assez « badiné », il est temps de sortir livres et cahiers.

 

Malek

Janine BOISSARD

Éditions Fayard
2008

 

Pages 119-121