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22/12/2008

Mgr André LACRAMPE, missionnaire en Corse

«Ce sera moi ou les armes», finit-il par dire, en ajoutant, après un silence: «Et si jamais vous les sortez, je m'en irai.» L'évêque ne sourit plus. Alors, les responsables de la confrérie, qui pressent André Lacrampe, le pasteur de l'Eglise corse, de «respecter [leurs] traditions», s'inclinent: ils promettent de ne pas faire le coup de feu à la fin de leur procession...

C'était à la veille de la Santa di Niolo, le plus grand des innombrables pèlerinages corses, en septembre 1995. Elle rassemble encore plus de fidèles que les fameuses processions pascales, comme le Catenaccio de Sartène, avec ses pénitents enchaînés, ou celle de Bonifacio, avec ses porteurs de reliques en grande cape. Dans le Niolo, haute vallée au pied du monte Cinto, dorée et embaumée par la fin de l'été, on célèbre Marie, figure transcendante de toutes les mères corses. A la fin, rituellement, les membres de la confrérie soulevaient leur aube et leur surplis, en extirpaient des revolvers et tiraient en l'air.

L'évêque d'Ajaccio a donc mis fin à cette étonnante tradition. «Les armes tuent, explique-t-il, elles sont le symbole des drames actuels. Cette culture de mort n'a pas sa place dans nos cérémonies.» Récemment, sur ses instances, l'abbé Jean-Marie Mondoloni, une figure du nationalisme, a persuadé ses amis d'éviter la salve d'honneur autour du cercueil d'un militant assassiné à Porto-Vecchio.

Un sinistre jour de juillet, revenant en voiture de l'une de ses incessantes tournées pastorales, l'évêque est saisi d'une sainte colère: la radio annonce un troisième meurtre en vingt-quatre heures dans les rangs nationalistes. Avec son téléphone portable, il convoque ses collaborateurs pour le soir même. De leur longue veille sort un communiqué vigoureux, au titre carré: «Tu ne tueras pas», le sixième des Dix Commandements.

Il y a longtemps qu'ici on n'avait pas entendu l'Eglise réagir si vite et si fort. Le précédent évêque était un autochtone. Mgr Sauveur Casanova, âgé, digne et laconique, donnait le sentiment de souffrir en silence devant la violence insulaire. André Lacrampe, lui, parle haut. Il prêche pour «une Eglise présente au monde». C'est le fil conducteur de son parcours personnel, depuis l'aumônerie de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) jusqu'à l'animation de la Mission de France, en passant par ses expériences de jeune coopérant en Algérie ou de visiteur attitré des missionnaires d'Amérique latine.

«Il faut sortir de soi et de chez soi!» proclame l'évêque aux fidèles réunis à Calvi, à Corte ou ailleurs. Le regard brillant derrière ses lunettes rondes, il écoute religieusement. Si un conflit surgit, il calme les esprits, mais précise aussitôt: «Je ne veux pas enterrer le problème.» En termes vifs et colorés, il mêle l'arrivée du printemps et la «montée vers Pâques», la saison du renouveau et le temps de la Résurrection. Ses mains prolongent ses mots et, à la mode corse, il lance à la fin de son prône «Grazie mille, tutti!», ou bien «Pace e salute», soulevant des murmures approbateurs. Il se montre chaleureux et prudent à la fois, c'est un Méridional descendu des montagnes.

André Lacrampe est né voilà cinquante-quatre ans dans les Hautes-Pyrénées, à Agos-Vidalos, où son père se dévouait au développement rural. Il domine de la tête toutes les assemblées. Bien qu'il soit champion d'athlétisme (relais 4 x 100 mètres) et grand amateur de football, les Corses, impressionnés par sa stature, n'ont retenu que sa passion pour le rugby. Il l'a cultivée aussi bien à Tarbes, où il revint comme vicaire épiscopal, qu'à Charleville-Mézières, son premier évêché, et il est toujours prêt à bondir au Parc des Princes pour un match du tournoi des Cinq Nations.

L'évêque rugbyman oppose à la folie meurtrière les mots de Charles Péguy: «Prier pour la paix, c'est bien; mais ne rien faire pour elle, c'est lâche.» Aux Corses désorientés - chrétiens ou non - il offre, enfin, un repère que beaucoup, ici, attendaient avec désespoir. Pour le nouvel an, La Corse, édition locale du Provençal, qui ne passe pas pour un organe calotin, l'a élu et proclamé en gros titre «Corse de l'année». Les lecteurs eux-mêmes l'avaient désigné. «Lui, il est proche des gens», confient, tour à tour, un chauffeur de taxi, un dirigeant sportif ajaccien et un sympathisant nationaliste, qui ajoute: «Pourvu qu'on ne nous le retire pas!»
Aujourd'hui, les micros se tendent vers André Lacrampe, et on l'invite sur les plateaux de télévision, où il est à son aise. N'a-t-il pas Jacques Chancel pour ami d'enfance, compagnon de randonnée et conseiller occasionnel? L'évêque ranime les bonnes volontés. Le concours qu'il organise dans les écoles sur le thème de la paix rassemble ainsi 3 000 dessins et poèmes. Les universitaires, invités à «apporter [leur] pensée à la Corse», l'aident à tenir un large colloque à Corte.

L'évêque déplore aussi bien la spirale de la violence que le règne de l'argent, les pannes de la démocratie et du développement. Il veut «combattre la sinistrose» et «mettre en lumière ce qui se fait de bien». Pour lui, justice et paix vont de pair, mais il faut avant tout remiser les armes. Il s'active aussi pour que les femmes «occupent toute leur place» dans la société insulaire, afin de la pacifier. Sans relâche, il incite les parents à s'interroger: «Quelle éducation donnez-vous à vos enfants, quel modèle: la vengeance ou la réconciliation ?»

«Mon but est d'éveiller les consciences, précise- t-il, surtout pas de me substituer aux institutions.» Dans son grand bureau encombré de livres et de dossiers, l'évêque reçoit tous ceux qui le désirent, du ministre de l'Intérieur au nationaliste pur et dur, mais sans la moindre publicité. Celui qui le récupérera n'est pas encore né. Lorsque, à la radio, un dirigeant du Mouvement pour l'autodétermination le presse de «prendre la tête d'une grande manifestation pour la paix», Monseigneur ironise: «Ah! il pense m'enrôler comme ça...» L'abbé Mondoloni rit encore de ses compagnons, qui lui avaient certifié, après une première rencontre: «L'évêque est un naïf.» Et l'abbé corse de conclure: «Ces gens de la montagne, ils n'en ont pas l'air, mais ils cachent bien leur jeu.»

En randonneur émérite, André Lacrampe sait qu'il avance sur une crête, où le faux pas se paie comptant. Pour l'heure, il évite les embûches, comme celle qu'un nationaliste lui a malicieusement tendue lors d'une réunion sur la liturgie: l'homme lui adressa une supplique, en corse d'abord, puis en français. L'assistance retenait son souffle. «Avec vous, répondit posément Mgr Lacrampe, je prierai Marie en corse, comme je l'ai priée en occitan. C'est bon de parler à sa mère dans sa langue.»

>Biographie express
17-12-1941: naissance à Agos-Vidalos (Hautes-Pyrénées).
1967: ordination.
1975: aumônier de la JOC.
1979: vicaire épiscopal de Tarbes.
1983: évêque auxiliaire de Reims, en résidence à Charleville.
1989: prélat de la Mission de France.
1995: évêque d'Ajaccio.

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Article du journal L'EXPRESS (1996)

 

14/12/2008

Georges DIDIER, coopérant et être de parole


Georges Didier a été un des premiers écologistes.

 
Aujourd’hui directeur de Réel, il s’explique sur sa fidélité militante.

 

Réel : En 76 vous étiez directeur de “La Gueule Ouverte”, le premier hebdomadaire écologique. Aujourd’hui vous l’êtes de “Réel”. Quels changements dans votre action ?

 

Georges DIDIER : Une maturité est advenue. En 72, je co-organisais à la première conférence alternative à celle de l’ONU à Oslo sur l’environnement. Ensuite, le journal “La Gueule Ouverte” s’est développé et j’en ai été le directeur en 76 et 77. Le changement a surtout été le fait d’une maturité et d’une intériorisation. À l’époque, nous étions beaucoup dans la dénonciation, dans “c’est la faute du système multinational et militaro-industriel” et “nous allions arrêter le progrès !”. Le monde n’a peut être pas tellement changé depuis 40 ans, mais nous avons changé dans nos réalités intérieures. Il y a eu l’irruption de la thérapie et de la psychanalyse. Dénoncer ne suffisait plus. Nous nous sommes aperçus que nos propres systèmes psychiques étaient en relation avec le système lui-même. Il y a un pont entre la réalité du monde et notre réalité soit individuelle, soit collective. Nous avons donc à avoir ce focus-là aujourd’hui.

 

Réel : Quelle est la différence entre la réalité de 68 et la réalité d’aujourd’hui ?

GD : En 68 nous voulions libérer le système. Aujourd’hui nous nous rendons bien compte que nous sommes prisonniers nous-mêmes d’un certain nombre de systèmes qui nous modèlent. Il faut certainement lutter, continuer les poussées culturelles, artistiques, ou éventuellement révolutionnaires. Mais nous avons d’abord à nous libérer de nos propres chaînes. Il y a là un vertige qui s’ouvre parce que nous avons toujours cru que c’était le système qui avait de gros problèmes et que nous, nous n’en avions que de petits. Mais si vraiment nous voulons être sérieux avec nous-mêmes, c’est nous qui avons de gros problèmes.

Chacun d’entre nous est porteur de conflits inconscients qui nous infusent, nous écrasent et nous déforment. C’est nous qui sommes, avant tout, prisonniers. Certes le système nous emprisonne, nous phagocyte, nous sollicite par des formats incitateurs, mais si vraiment nous sommes sérieux, et il faut l’être aujourd’hui, le problème, comme dirait Patrick Viveret, avant tout, c’est nous.

Donc, travaillons sérieusement sur nous, osons notre grandeur, notre créativité et notre liberté. Si nous osons cela, le monde changera.

[…]

 

Réel : Donc de la révolution à la relation ?

Georges DIDIER : Le monde intérieur c’est nous et le monde extérieur c’est nous aussi. Nous sommes le monde. C’est un grand appel à la maturité et à l’amour de nous-mêmes parce que nous-mêmes c’est l’autre. Aujourd’hui, hier et demain. Nous avons à travailler profondément toutes ces cellules qui nous composent, toutes ces étoiles que nous avons en nous. Nous avons à configurer nos relations de telle façon que ça soit bien la vie qui se manifeste à travers elles. C’est cela demain.

 

 

 

Présentation de Georges DIDIER

 

Ses ouvrages :

L’EXPÉRIENCE DE LA NON-VIOLENCE

 

Activités : Formateur (Ecole de l’Accompagnement Symbolique et Spirituel) de psychanalystes symboliques. Conférencier.

 

Stages : Constellations des valeurs, constellations familiales, psychodrame, psychanalyse symbolique, spiritualité.

 

Site web : journalreel.info

 

Résumé Georges Didier a fait des études de droit et a travaillé au “service de coopération en Algérie” pendant deux ans. Il a lutté pour faire pénétrer le concept de l’écologie en France. Fondateur de la revue “Alternatives non violentes” et directeur de “La Gueule Ouverte” au moment des grandes manifestations non violentes au Larzac et de la contestation de Creys-Malville, il a quitté en 1997 ses activités militantes pour devenir journaliste et psychothérapeute. Il dirige aujourd’hui la revue “Réel”, porte-parole des psychothérapeutes en France.

 

 

Site du journal Réel

 

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09/11/2008

Les coopérants subjugués par le désert selon Malika MOKEDDEM

"Et puis encore et encore les naufrages des étés. Il n'est de pire sentiment de claustration que celui éprouvé face à des immensités ouvertes, certes, mais sur un néant. Sur l'enfer d'une tragédie pétrifiée pour l'éternité, sans rédemption. Le désert ne subjuguait que les coopérants français qui, eux, le sillonnaient de part en part et le quittaient à l'été pour des lieux plus cléments. Forts de la certitude qu'ils pourraient s'en aller définitivement quand ils le décideraient, ils le vivaient agréablement. Leïla, elle, avait si peur de ne pouvoir jamais lui échapper qu'elle le haïssait, ce désert tyran. Son ciel torve et ses nulle part effarants égaraient son regard, consumaient ses espoirs. La perspective de ces mois qui agonisaient en naissant et installaient l'image de la mort pour longtemps, l'angoissait tant que Leïla en oubliait les véritables causes de son enfermement : la misogynie de la société, d'une part, le dénuement de sa famille et le nombre à présent trop important de sa fratrie qui excluaient toute possibilité de voyage, d'autre part.

Avec les campagnes de vaccinations et la gratuité des soins médicaux, le taux de mortalité infantile dans le pays, auparavant l'un des plus élevés du monde, baissait de façon spectaculaire. Le boum démographique qui s'amorçait et l'importance de l'exode rural rendaient pléthorique la population des villes. Et les plus spacieuses demeures des «biens vacants» devenaient exiguës lorsque s'y entassaient plusieurs générations d'une même famille. Les rares échappées que s'étaient octroyées les Ajalli vers Oujda ne pouvaient plus s'envisager depuis que leur famille s'était exilée à Oran. Après les fastes d'antan perdus avec la mort de Bouhaloufa, ceux d'Oujda avaient laissé derrière eux leurs derniers biens : les charmes et les espaces de la ferme. Ils avaient rejoint l'étroitesse et la routine de la vie des citadins.

À Dar el Barga, faisant fi de la fournaise estivale comme des morsures hivernales ou des mitrailles printanières des vents de sable, Yamina et Mounia exhibaient  comme  des  trophées  de  gros  ventres goguenards. Chaque année. «Comment peut-on continuer à faire des enfants dans ces conditions? » se demandait Leïla avec effarement. Parfois, elle pétrissait inconsciemment son ventre d'une main fébrile en proie à une sourde terreur. « Jamais! Jamais! » Dans la chaleur torride, elle se mettait à trembler et ses yeux jetaient alentour des regards traqués.

- Mon Dieu es-tu malade? s'inquiétait sa grand-mère.

- Non, non. Ce n'est rien."

 

Les hommes qui marchent.

Malika MOKEDDEM.

Éd. Grasset. 1997

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21/10/2008

Les Français sont racistes selon Fadil

 

 

Voici le commentaire laissé par Fadil sur AgoraVox le 28 juin 2006 suite à l’article : Immigration choisie ou immigration subie ?

 

Salut ; je l’affirme les Français sont racistes vraiment et profondément tellement qu’ils ne le sentent plus. C’est ancré culturellement au plus profond.

 

De part ma situation familiale de mère libanaise et de père égyptien coopérant en Algérie et de part mon métier je suis informaticien + commercial

mais aussi du fait que j’ai grandi en Kabylie dans une région non arabophone et même anti arabe

j’ai été amené a voyager pour changer et pour vivre.

 

Je suis de ceux qui ont vécu et vu beaucoup de choses.

Le monde et la nature humaine, je crois connaitre un peu !!!

Le monde arabe, je l’ai sillonné de long en large.

Vous considérez le Maghreb comme un réservoir à émigrés qui ne sont là qu’à attendre un visa pour vivre dans la félicité en France.

 

Je vais vous surprendre peut-être !!

mais vous vous trompez très lourdement

 

Les choses changent et très vite !!!

plus vite que vous ne vous l’imaginez

en tout cas pour certains pays : Liban , Jordanie , Algérie , Dubaï

ceux-là, dans 10 ans tout au plus seront de l’autre côté c’est-à-dire du côté des pays riches vraiment riches.

 

Quant à l’émigration choisie faut pas se leurrer

les informaticiens (c’est mon métier) vous en avez au Maghreb

c’est très simple la perspective française n’a aucun intérêt vraiment aucun !

 

Je suis en France pour vendre des fichiers script fait à Alger ;

mes premiers clients ça a été des Canadiens.

J’ai tout vendu ; je suis content.

Je rentre à Alger ce soir parmi les miens

et les Canadiens et les autres, on se reverra l’année prochaine à Dubaï à Toronto …

partout ailleurs qu’en France !

Les choses changent, monsieur les choses changent

alors vos délibérations et vos certitudes !!!

 

 

 

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Article et commentaires ici

 

03/10/2008

Ce que je dois à l’Algérie (Jean GALLAND)

 ...

 

Les événements sont venus à moi, mieux et plus vite que je ne pouvais l'imaginer. Nous étions tout juste installés à Tizi-Rached qu'a éclaté le coup de tonnerre du premier novembre 1954.

Quelques mois plus tard, la loi sur l'État d'urgence annulait la légalité, déjà si peu républicaine. Tout juste une semaine après la parution du texte au Journal Officiel, j'étais interdit de séjour, d’abord dans le département d'Alger, puis, quelques jours plus tard, dans le département d'Oran où je m'étais replié. J'allais donc passer le temps de la guerre dans mon Berry retrouvé, «La tête ici, le coeur là-bas» .

 

Faut-il ajouter que je me sens, aujourd'hui aussi fortement qu’hier, redevable à l'Algérie, au peuple algérien, d'une dette que je n’arriverai jamais â éponger et de liens que je ne chercherai jamais à trancher.

 

C’est en Algérie que ma femme et moi-même avons commencé à être  adultes.

 

C'est en Algérie que s'est alors engagée et construite notre vie commune, que nous avons fait l'apprentissage d’être mari et femme, pour chacun de se réaliser soi-même non plus seul mais avec l'autre dont les aspirations, les goûts, les initiatives peuvent être contradictoires.

 

C'est en Algérie que sont nés trois de nos cinq enfants, les deux autres étant venues au monde en France bessif (par le sabre, par la force), la guerre nous ayant chassés de « là-bas », provisoirement. Nous avons eu alors la révélation de ce qu'il y a de puissant, de définitif dans le sentiment qui attache au sol natal. Ainsi de notre fait et pour toujours, Danielle serait de Djelfa, Jean-François d'Azzefoun, et Alain de Tizi-Ouzou !

 

C'est en Algérie, qu'en l'exerçant, j'ai appris mon métier d’enseignant, de maître d'école d'abord, puis de formateur après l’indépendance, tandis que la langue française ayant changé de statut dans des conditions totalement nouvelles, imprévues, il était fait appel à l'initiative, à l'intelligence, au courage de tous, afin d'être dignes des attentes d'une jeunesse tellement brimée, meurtrie par la guerre et avide de pouvoir enfin s'instruire et s'épanouir. Alors de 1962 à 1974, j'ai travaillé dans l'enthousiasme à la formation d’enseignants, de jeunes filles et de jeunes hommes, beaucoup rentrant de France, et qui choisissaient avec ce métier une place dans la société dont ils n'auraient pas eu le droit de rêver à l'époque coloniale. C'était exaltant et valorisant par la réflexion, qu'à tout moment il fallait exercer afin de décider des contenus et des méthodes qu’exigeait une situation assez difficile à définir. J'ai connu alors des relations humaines d'une qualité exceptionnelle dont certaines se prolongent encore aujourd'hui, un demi-siècle plus tard parfois avec les enfants ou les petits-enfants de mes amis de l'époque.

 

On me dira que j'idéalise, que nos cheminements ne manquaient pas d'embûches, voire même de pièges, sinon de véritables guets-apens. Comment dirais-je le contraire tellement je fus placé pour le savoir ! Il n'empêche que, pour cela comme pour bien d’autres choses de la vie, c'est au meilleur que l'on revient, le pire ayant glissé dans les oubliettes de la mémoire.

 

C'est à l'Algérie que je dois des souvenirs, des images, des parfums, des musiques, que je n'aurais connus nulle part ailleurs.

 

C’est en Algérie que j'ai éprouvé l'inestimable avantage et la fierté de fraterniser avec Bachir Hadj Ali, le chantre incomparable des luttes pour l'Indépendance.

 

C'est en Algérie que j'ai découvert l'immense richesse historique et culturelle de la communauté berbère, celle des Imazighen, les hommes libres, son organisation sociale sauvegardée malgré les siècles et les agressions, son orgueil légitime d'être ce qu’elle est grâce à ses racines et une identité incomparables, sa langue dont les bribes que je connais suffisent â me désoler de n'avoir pas su mieux l'apprendre lorsque je naviguais dans les « bains sonores » d’Akerrrou, Tizi-Rached, Azazga (ou toutefois, à ma défense, on avait toujours la courtoisie de parler français lorsque j'étais supposé prendre part à la conversation).

 

C'est en Algérie que nous avons rencontré une société féminine d'autant plus intéressante et attachante qu'elle différait à tous égards de la société de nos mères et de nos grands-mères.

 

Comment ne pas être humblement et amèrement admiratif devant ce qu'ont subi les femmes d'Algérie sous le régime colonial et peut-être surtout depuis un demi-siècle ?

 

Ces souvenirs, ces sentiments-là, font partie de notre vie pour toujours.

 

Nous avons compris en quittant l’Algérie en 1974 que nous serions désormais attachés à tout cela quoi qu’il arrive.

 ...

 

Jean GALLAND

Le cœur là-bas

Elles et Eux et l’Algérie

Éditions Tirésias, Paris, 2004

 

Pages 281 à 286

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