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15/09/2009

L’art de vivre de Jean DHERBEY

 

Jean Dherbey : coopérant des années post-indépendance : « J’ai appris un art de vivre »

 

À l’automne de ce millésime ô combien agité (1968), Jean Dherbey débarque en Algérie dans la région de Jijel. Il aurait dû rester seulement 18 mois, mais il rempile et ne quitte le pays qu’en 1973. Avec le recul, Jean Dherbey se souvient, quarante après, de ses années algériennes. Il les raconte dans un livre, "Rive sud ou le temps de l’espoir", paru récemment aux éditions Bénévent.



Au moment de la guerre d’Algérie, vous étiez adolescent, vous en avez entendu parler ?

Oui, parce qu’il y avait des jeunes du pays, je me souviens du nom de l’un d’eux dont la mort nous avait tous affectés. Et puis mon père, dans les années 1930, avait été zouave dans le 9e régiment, il avait, entre 1942 et 1944, aidé les résistants dans le Vercors.

 

Quel était son regard sur cette guerre et en quoi en avez-vous été imprégné ?

J’ai la plus grande reconnaissance pour lui. Dès 1954 il a dit : « Il ne faut pas se battre ». J’étais petit mais je me rappelle. Il avait défendu un Algérien qui était venu dans le bar où mon père se trouvait ; un homme avait proféré des propos racistes, mon père l’a mis dehors en lui disant : « Cet homme s’est battu pour nous pendant la guerre, et toi, tu étais où ? Moi j’étais dans le Vercors pour aider la résistance. Tant que je serais vivant tu ne pourras pas avoir de tels propos ».

 

Lorsque 1962 arrive, quels ont été vos souvenirs ?

Je me rappelle de la signature du cessez-le-feu en mars. J’écoutais la radio, je suis entré dans le bar et j’ai dit : « La guerre est finie ! Un silence m’a répondu. J’étais très déçu. Seul mon père m’a dit bravo !»

 

Que cela voulait-il dire ?

Il était content que cela se termine, car il avait énormément souffert durant la guerre, il aimait beaucoup les Algériens et il ne supportait pas ce conflit qu’il considérait fratricide.

 

Il n’y a donc pas de hasard. Votre départ en Algérie était écrit, si on peut dire ainsi...

C’est vrai. J’ai subi des pressions énormes pour ne pas y aller. On disait : « Tu vas te faire égorger, étriper », mais mon père est le seul qui m’a soutenu. Culturellement, il était passé par-là et il affirmait que cela se passerait bien et que les gens étaient accueillants, que c’est un beau pays. Au début, j’avais l’impression d’avoir été un peu orgueilleux de tenter cette aventure sans transition, d’être parachuté de mon village dans ce pays dont je ne connaissais rien encore mais qui, très vite, m’a claqué à la gueule.

 

Vous étiez parti pour 18 mois, vous êtes resté quatre ans.

Finalement, à quoi tient cet attachement, à quelque chose qui colle aux semelles et dont on n’arrive pas à se débarrasser ? Oui, cette formule me convient, car c’était vraiment pour moi une nouvelle vie.

 

En Algérie, vous avez découvert aussi le melting-pot des enseignants de plusieurs nationalités. Qu’est-ce que vous en retirez ?

D’abord, un grand coup de chapeau à mes élèves tiraillés entre plusieurs cultures et qui s’en sortaient extrêmement bien. Je me dis que c’était extrêmement difficile à gérer, mais a contrario c’était une richesse culturelle extraordinaire.

 

Qu’avez-vous laissé derrière vous ?

Un apprentissage de la vie, un art de vivre, un regard sur le monde que jamais je n’ai retrouvé ailleurs, une culture que j’avais appris à aimer tout en pouvant critiquer des travers, et je laissais des élèves qui m’ont appris autant que je leur ai appris.



Par Walid Mebarek

 

El Watan (23 juin 2008)

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23/08/2009

Guy HENNEBELLE vu par Guy PERVILLE

 

 

Le regretté Guy Hennebelle, ancien directeur de la cinémathèque d’Alger et ancien chroniqueur cinématographique d’El Moudjahid (sous le pseudonyme Halim Chergui), écrivit au président Bouteflika aussitôt après son discours de Paris pour lui proposer de l’aider à refonder positivement les relations franco-algériennes par un numéro de sa revue Panoramiques donnant la parole à des auteurs des deux pays, sans lui cacher qu’il n’approuvait pas toutes ses déclarations, et qu’il avait déjà écrit à Bachir Boumaza que la repentance unilatérale ne mènerait à rien [35]. Puis il écrivit au Figaro pour s’élever contre la volonté du Monde de lancer la France dans une campagne de repentance : « Ma conviction est que c’est inutile, néfaste et même dangereux. Oui, les livres d’histoire doivent dire toutes les vérités. Non, il n’est pas sain que la France vive dans des campagnes permanentes de repentance. Cette ritournelle tend à devenir maladive. Je ne pense pas du tout que la campagne récente soit de nature à rendre rationnelles, fraternelles et apaisées les relations entre la France et l’Algérie, qui a montré qu’elle savait fort bien faire encore pis que nous, et dont les besoins et préoccupations immédiates relèvent d’un tout autre registre » [36]. Dans le numéro 62 de Panoramiques, intitulé « Algériens-Français : bientôt finis les enfantillages ? », il voulut contribuer à briser ce qu’il appelait « le duo maso-sado entre la culture laïco-chrétienne du culpabilisme français et la culture arabo-musulmane du ressentiment, qui ne mène à rien de constructif » [37], rappelant son opposition à la campagne lancée par Le Monde et sa lettre antérieure à Bachir Boumaza « pour lui dire que je réprouve absolument (..) l’aventure dans laquelle il cherche à lancer son pays à travers sa Fondation du 8 mai 1945 ». En revanche, il se prononçait pour « la création d’une équipe mixte algéro-française dont la mission serait d’écrire et d’enseigner une histoire commune de notre long compagnonnage forcé, y compris de son dramatique épilogue » [38]. Ce fut l’un de ses derniers combats [39], auquel j’ai participé en pleine connaissance de cause [40].

 

 

[35] Panoramiques, n° 62, 1er trimestre 2003, p. 42. Ce numéro a obtenu l’estampille de l’année de l’Algérie.

[36] Guy Hennebelle, « Algérie : jouer aux matriochkas ? », Le Figaro, 6 août 2001, p. 9.

[37] Panoramiques, n° 62, p. 20.

[38] Ibid., p. 23.

[39] Guy Hennebelle est mort d’un cancer le 3 juillet 2003. Un numéro hors série de Panoramiques, 3ème trimestre 2003, intitulé « Pour quoi nous combattons », présente son « testament » sous forme d’anthologie de ses articles.

[40] Cf. Guy Pervillé, « Je préfère m’abstenir de tout pronostic », entretien avec Guy Hennebelle, Panoramiques, n° 62, pp. 150-158

 

Lisez l'intégralité de l'article : ici

 

 

 

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Photo JCBorel

 

 

 

17/08/2009

REGARDS SUR L’ISLAM (Paul GESCHE)

Paul GESCHE, Docteur ès Sciences et chercheur scientifique travaillant pour le groupe chimique français RHODIA, est marié et père de six enfants. Après avoir grandi en Alsace dans un contexte d’implantation d’Eglise, il est depuis 1989 un des anciens d’une Eglise évangélique pionnière établie au centre de Lyon. Il a découvert l’islam et le monde musulman au début des années quatre-vingts, alors qu’il était coopérant technique en Algérie. Depuis une dizaine d’années, il est le Président de Ministère Evangélique parmi les Nations Arabophones, la branche française d’une mission internationale autrefois connue sous le nom de North Africa Mission et aujourd’hui sous le nom de Arab World Ministries.

 

À l’aube du XXIe siècle, l’islam est la seconde religion dans le monde, mais aussi dans un pays européen comme la France où il avait eu au fil des siècles un rôle plutôt marginal. L’islam est une religion dont on parle beaucoup dans les médias, car il fournit une clé pour comprendre certains des événements les plus significatifs de notre histoire récente. L’islam «avance», dit-on, pour exprimer le fait que son influence politique et religieuse se fait sentir en dehors des pays traditionnellement reconnus comme musulmans. C’est le cas particulièrement en Afrique, mais des pays comme les Etats Unis, le Canada ou l’Australie ont aussi découvert avec une certaine surprise l’importance que revêtait désormais pour leur pays une communauté qui s’identifie comme musulmane.

 

Mais avant d’être un mouvement ou une force en mouvement dans notre monde à la recherche de nouveaux équilibres, l’islam est une religion d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards qui cherchent à obéir à Dieu en manifestant une piété et en accomplissant des rites qui vont conditionner leur culture et leur représentation du monde. L’islam est un phénomène humain, bien plus qu’un ensemble de doctrines! L’islam est au départ un choix de vie, puis il devient une vie de choix déjà préparés, muris, enseignés et surveillés. Un être humain sur cinq est engagé dans cette relation avec un Dieu tout puissant et omniscient, plus grand que tout ce qui pourrait Le représenter (note: c’est la signification du cri de ralliement des musulmans: Allahou akhbar, Dieu est plus grand!). Un être humain sur cinq cherche à s’inspirer de la vie et de l’enseignement, de Muhammad (note: selon les pays et les époques, on trouve les formes voisines de Mahomet, Mehmet, Mohammed), un chef arabe qui a réussi à unifier son peuple au VIIe siècle en triomphant du polythéisme astral de leurs ancêtres. Un être humain sur cinq, cinq piliers pour édifier une vie et nourrir une foi qui trouve sa source dans un recueil de prédications, le Coran. L’islam se présente volontiers comme une religion toute naturelle, simple et logique, éloignée des extrêmes de la spéculation légaliste et de l’athéisme philosophique ou pratique.

 

Le chrétien observe l’islam qu’il a vu naître et se développer. L’Eglise s’interroge devant ce milliard de croyants qui se sont organisés sans clergé et sans prêtres à côté d’elle, autour d’elle et parfois là où elle a cessé de briller! Venu si tard après la période des apôtres, l’islam pose des questions auxquelles il n’est pas toujours facile de répondre: quelle est sa signification dans le plan de Dieu, comment s’intègre-t-il dans notre compréhension des Derniers Temps, pourquoi tant d’hommes sont-ils musulmans à l’heure où l’Evangile se répand en tous lieux par le livre, par les ondes, par la prédication missionnaire? Il y a eu beaucoup d’incompréhension entre musulmans et chrétiens, il y a beaucoup de préjugés de part et d’autre, et on constate généralement une profonde méconnaissance de l’autre, même lorsque les circonstances de la vie et les migrations économiques mélangent les hommes et les forcent à partager certaines de leurs expériences.

 

En attendant de pouvoir expliquer convenablement le christianisme au musulman, il semble utile de chercher à expliquer l’islam au chrétien, non pour lui présenter une foi alternative, mais pour lui faire sentir quels sont les besoins qui restent inassouvis dans le cœur des musulmans et qui constitueront autant de point de départ pour l’œuvre de la grâce de Dieu, manifestée en Jésus Christ notre Sauveur. C’est ce que nous ferons, Dieu voulant (note: le musulman dirait: Incha’Allah!), dans une série d’articles que nous vous proposons autour des thèmes suivants :

 

– la foi musulmane

– la piété musulmane

– la société et le monde musulman

– le musulman et Jésus

– le musulman et la Bible

– le musulman et l’Esprit Saint

– du chemin de Damas à l’Eglise

– inviter et accueillir le musulman

 

La démarche que nous vous proposons fera une large place à la prière, à la recherche de la volonté de Dieu et à l’examen de conscience, car le serviteur de Dieu doit être préparé en vue de toute lutte spirituelle, revêtu de l’amour et de la justice de Jésus. Alors seulement son témoignage suscitera les bonnes questions, produisant le fruit de la repentance. D’autre part, nous vous recommanderons chaque fois que cela sera possible un livre qui vous permettra de poursuivre la réflexion.

 

Que le Seigneur nous dirige dans ces réflexions, que nous voulons avant tout pratiques, afin que de nombreux musulmans puissent rencontrer des chrétiens avertis et rayonnants, afin qu’ils se convertissent à Jésus leur Sauveur et que le nom du Dieu Tout Puissant et Tout Miséricordieux soit loué à jamais.

 

Paul GESCHE

 

BATA-Paul_L-Islam.jpgPaul BALTA

L’Islam

Le Cavalier Bleu (Idées reçues);

ISBN: 2846700214, Paris 2001

 

27/07/2009

Jo Briant De retour de Kabylie et d’Algérie (3)

 

Un peuple qui ne se résigne pas... : L’espoir malgré tout

Cet état des lieux, qui peut paraître désespérant, est certes conforme à la réalité, mais ne rend pas compte de la vitalité d’un peuple qui ne se contente pas de rejeter massivement un pouvoir qui a tourné le dos depuis si longtemps aux idéaux de la Révolution de novembre (1954). C’est vrai que la tentation du renoncement et de la résignation est forte, face à un pouvoir qui semble si inaccessible et si lointain... Et pourtant, ce peuple algérien résiste à sa façon. Les grèves dans la fonction publique - notamment dans le secteur de l’Education - , dans les entreprises, pour exiger des salaires décents ou s’opposer à des projets de " restructuration " ou de fermeture, les manifestations contre les coupures d’eau ou pour exiger une répartition transparente des nouveaux logements, les barrages de route érigés par les sinistrés (suite au séisme de mai dernier) pour exiger un relogement d’urgence avant l’hiver, ces " mères de disparus " qui se rassemblement chaque semaine à Alger pour exiger de véritables enquêtes, ces militants associatifs qui essaient, avec quel courage !, de reconstruire une " conscience citoyenne ", sans oublier bien sûr ces milliers de jeunes de Kabylie qui s’opposent, au risque de leur vie, à un pouvoir " assassin " et méprisant, et ces femmes qui luttent courageusement pour les droits de leurs " sœurs " et contre le " code de la honte "... Oui, j’ai rencontré à longueur de journée des dizaines d’acteurs individuels et collectifs qui s’engagent pour qu’émerge enfin une " autre " Algérie, démocratique et plurielle. Même s’il manque cruellement des organisations politiques à l’écoute des citoyens et des militants de base capables de relayer ces révoltes, même minuscules, et ces espoirs.

 

Le peuple algérien a suffisamment montré par le passé son esprit de résistance et sa vitalité pour qu’il trouve les ressources d’une renaissance tant attendue.

 

À nous de l’appuyer dans sa lutte, en nous opposant d’abord à la complicité au soutien permanent du gouvernement français, en établissant ensuite des ponts et des liens de solidarité avec les mouvements citoyens de l’autre rive.

 

 

Jo BRIANT (octobre 2003)

 

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20/07/2009

Jo Briant De retour de Kabylie et d’Algérie (2)

 

Une jeunesse en plein désarroi

On se souvient qu’en mars dernier, lors de la visite de Jacques Chirac, le seul slogan crié comme un leitmotiv par les jeunes qui s’étaient massés le long des avenues d’Alger, était le suivant : " Des visas ! des visas ! ". J’ai rencontré longuement un groupe de jeunes de Constantine, ainsi qu’un animateur socio-culturel. Tous ont été unanimes : " Nous n’avons plus d’espoir dans ce système trop souvent corrompu, dirigé par une minorité hyper-privilégiée qui s’approprie l’argent du pétrole et les postes de responsabilité. Très peu d’emplois nous sont proposés, sinon des petits boulots très mal payés. Nous n’avons pas de terrains de sport, de piscine, il n’y a plus de salle de cinéma... ". Une scène de la vie quotidienne, tellement significative : sur un côté d’une avenue de Tizi-Ouzou, plus d’une centaine de jeunes se sont face sur deux rangées, les uns debout, les autres accroupis, essayant de vendre aux passants un pantalon, une veste, une chemise, une paire de chaussures...Ils peuvent ainsi rester des heures entières sans rien écouler...Leur seul espoir, voire leur seul rêve, est de prendre le chemin de l’exil. Qu’importe la destination. Signe d’un terrible échec du pouvoir algérien, mais aussi de toute une classe politique incapables de proposer une perspective, un avenir à toute cette jeunesse pourtant majoritaire. Les communes sont massivement dépourvues d’infrastructures d’animation culturelle et sportive, même si on assiste depuis peu à l’ouverture de centres culturels et de maisons de jeunes. Mais c’est nettement insuffisant. Il y a bien par ailleurs des crédits dont sont pourvus les agences locales de soutien à l’emploi des jeunes ( ALSEJ), qui favorisent des crédits bancaires pour lancer un cybercafé, acquérir un taxi ou créer une micro-entreprise. Mais le manque de formation préalable et d’accompagnement, ainsi que l’insuffisance des crédits réduisent fortement la portée de cette politique... Certes, la jeunesse algérienne n’est pas toujours résignée : le R.A.J. (Rassemblement Action Jeunesse) essaie de la mobiliser, mais son implantation ne dépasse guère la capitale. Une exception notable : la jeunesse de Kabylie, qui s’est révoltée massivement en 2001 (123 jeunes ont été tués par les forces de l’ordre...), à l’appel du mouvement citoyen des A’rouch (assemblées locales traditionnelles kabyles). J’ai pu rencontrer Belaïd Abrika, la figure de proue de ce mouvement. Un mouvement plein d’espoir, avec des revendications qui touchent à la fois à la reconnaissance de l’identité et de la langue berbères, à l’exigence d’ un véritable développement basé sur les besoins fondamentaux de la population, et à l’émergence d’un nouveau système politique, véritablement démocratique et pluriel. Mais cette révolte est quelque peu dans l’impasse et cherche un nouveau souffle, se heurtant à l’inertie d’un pouvoir et d’un système incapables de se remettre en question.

 

L’Algérie dans la tourmente politique : la nomenklatura politico-militaire toujours au pouvoir...Et les Islamistes ?

Un mot d’abord sur la situation sécuritaire. Incontestablement, les " violences " ont très fortement diminué, en comparaison des massacres qui ravageaient le pays il n’y a pas si longtemps. Un climat de réelle sécurité règne dans les villes et je n’ai jamais eu le sentiment d’être menacé. Il reste qu’en une dizaine de jours j’ai comptabilisé, en consultant quotidiennement la presse, dix-huit morts ( sept " Islamistes " , cinq militaires, six civils), suite à des attentats perpétrés par des groupes islamistes ou à des confrontations entre ces groupes et l’armée. Une violence qualifiée de " résiduelle " par le pouvoir. Une moyenne mensuelle de cinquante morts, c’est quand même considérable et montre que l’Algérie est encore loin d’être " pacifiée ". Et, au-delà de ce décompte macabre, on sent à chaque instant que l’idéologie islamiste a profondément gangrené la société algérienne. La pression religieuse traditionnelle est très forte ; en période de Ramadan, tous les cafés, bars, restaurants sont fermés jusqu’à la " rupture du jeûne ", et il est hors de question pour quiconque de manger un sandwich ou de griller une cigarette à la vue d’autrui. En période normale, il est désormais très difficile d’acheter une bouteille de vin ou de bière, ce qui n’était pas le cas il y une quinzaine d’années. Quant au code de la famille, appelé par de nombreux Algériens et surtout Algériennes " code de la honte ", adoptée en 1984, qui nie tout droit à la femme, il n’est toujours pas question de l’abolir... Ne pas oublier que l’Assemblée nationale algérienne comprend 81 députés islamistes, sans compter de très nombreux islamo-conservateurs... Un exemple parmi tant d’autres : lors d’un concert auquel j’ai assisté à la Maison de la Culture Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, concert par ailleurs très chaleureux, j’ai comptabilisé une quinzaine de femmes sur une assistance de sept cent personnes ! Ce qui révèle à quel point les femmes algériennes se voient de fait interdit l’espace public (cafés, restaurants, lieux culturels...), réservé presque exclusivement aux hommes.

 

Mais au-delà du problème sécuritaire et de l’imprégnation islamo-conservatrice de la société algérienne, ce qui m’a le plus frappé à l’occasion de mes multiples contacts, c’est le sentiment d’abandon face à un pouvoir qui est perçu comme très éloigné et indifférent aux difficultés quotidiennes rencontrées par la population. Hogra (mépris) : un mot sans cesse repris pour qualifier l’attitude des autorités et des responsables, qu’ils soient nationaux ou locaux. A moins d’être " pistonné ", de connaître personnellement tel ou tel responsable, ou de pouvoir glisser un dessous de table, on a très peu de chance de voir sa demande ou sa revendication, même la plus légitime, prise en compte. Quant au sommet de l’Etat, aux " décideurs " politico-militaires, ils représentent un régime honni qui ne tient que par l’équilibre de la violence. Un régime qui se maintient en contrôlant et en réprimant si nécessaire les partis politiques, les syndicats, les associations qui doivent d’abord obtenir le fameux " agrément " pour exister et agir. Sait-on par exemple que les membres du bureau de toute association (au moins 9 personnes) doivent fournir, outre deux photos d’identité, un extrait de leur casier judiciaire, un extrait de naissance, l’adresse et le téléphone de leur employeur... Un véritable contrôle social et politique qui s’exerce sur l’ensemble de la société algérienne, renforcé par le maintien de l’état d’urgence instauré en 1992.

 

A l’approche de l’élection présidentielle d’avril 2004, la pression des militaires s’accentue. Il s’agit de contrôler et de neutraliser les candidats potentiels qui chercheraient à s’affranchir de cette mainmise, à commencer par le président Abdelaziz Bouteflika. Le secrétaire général du FLN, Ali Benflis, a été limogé par Bouteflika dès lors même que cet ex-parti unique, redevenu dominant, semble vouloir échapper au contrôle du pouvoir... Les couteaux s’aiguisent, et pendant ce temps l’Algérie semble patiner inexorablement depuis maintenant une quinzaine d’années, payant les frais de ces guerres intestines au sein de la nomenklatura politico-militaire au pouvoir, et d’une absence quasi totale de vie et de débat démocratiques.

...

 

 

Jo BRIANT (octobre 2003)

 

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Belaïd Abrika et Délégués (Photo Aqchiche)