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03/10/2008

Ce que je dois à l’Algérie (Jean GALLAND)

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Les événements sont venus à moi, mieux et plus vite que je ne pouvais l'imaginer. Nous étions tout juste installés à Tizi-Rached qu'a éclaté le coup de tonnerre du premier novembre 1954.

Quelques mois plus tard, la loi sur l'État d'urgence annulait la légalité, déjà si peu républicaine. Tout juste une semaine après la parution du texte au Journal Officiel, j'étais interdit de séjour, d’abord dans le département d'Alger, puis, quelques jours plus tard, dans le département d'Oran où je m'étais replié. J'allais donc passer le temps de la guerre dans mon Berry retrouvé, «La tête ici, le coeur là-bas» .

 

Faut-il ajouter que je me sens, aujourd'hui aussi fortement qu’hier, redevable à l'Algérie, au peuple algérien, d'une dette que je n’arriverai jamais â éponger et de liens que je ne chercherai jamais à trancher.

 

C’est en Algérie que ma femme et moi-même avons commencé à être  adultes.

 

C'est en Algérie que s'est alors engagée et construite notre vie commune, que nous avons fait l'apprentissage d’être mari et femme, pour chacun de se réaliser soi-même non plus seul mais avec l'autre dont les aspirations, les goûts, les initiatives peuvent être contradictoires.

 

C'est en Algérie que sont nés trois de nos cinq enfants, les deux autres étant venues au monde en France bessif (par le sabre, par la force), la guerre nous ayant chassés de « là-bas », provisoirement. Nous avons eu alors la révélation de ce qu'il y a de puissant, de définitif dans le sentiment qui attache au sol natal. Ainsi de notre fait et pour toujours, Danielle serait de Djelfa, Jean-François d'Azzefoun, et Alain de Tizi-Ouzou !

 

C'est en Algérie, qu'en l'exerçant, j'ai appris mon métier d’enseignant, de maître d'école d'abord, puis de formateur après l’indépendance, tandis que la langue française ayant changé de statut dans des conditions totalement nouvelles, imprévues, il était fait appel à l'initiative, à l'intelligence, au courage de tous, afin d'être dignes des attentes d'une jeunesse tellement brimée, meurtrie par la guerre et avide de pouvoir enfin s'instruire et s'épanouir. Alors de 1962 à 1974, j'ai travaillé dans l'enthousiasme à la formation d’enseignants, de jeunes filles et de jeunes hommes, beaucoup rentrant de France, et qui choisissaient avec ce métier une place dans la société dont ils n'auraient pas eu le droit de rêver à l'époque coloniale. C'était exaltant et valorisant par la réflexion, qu'à tout moment il fallait exercer afin de décider des contenus et des méthodes qu’exigeait une situation assez difficile à définir. J'ai connu alors des relations humaines d'une qualité exceptionnelle dont certaines se prolongent encore aujourd'hui, un demi-siècle plus tard parfois avec les enfants ou les petits-enfants de mes amis de l'époque.

 

On me dira que j'idéalise, que nos cheminements ne manquaient pas d'embûches, voire même de pièges, sinon de véritables guets-apens. Comment dirais-je le contraire tellement je fus placé pour le savoir ! Il n'empêche que, pour cela comme pour bien d’autres choses de la vie, c'est au meilleur que l'on revient, le pire ayant glissé dans les oubliettes de la mémoire.

 

C'est à l'Algérie que je dois des souvenirs, des images, des parfums, des musiques, que je n'aurais connus nulle part ailleurs.

 

C’est en Algérie que j'ai éprouvé l'inestimable avantage et la fierté de fraterniser avec Bachir Hadj Ali, le chantre incomparable des luttes pour l'Indépendance.

 

C'est en Algérie que j'ai découvert l'immense richesse historique et culturelle de la communauté berbère, celle des Imazighen, les hommes libres, son organisation sociale sauvegardée malgré les siècles et les agressions, son orgueil légitime d'être ce qu’elle est grâce à ses racines et une identité incomparables, sa langue dont les bribes que je connais suffisent â me désoler de n'avoir pas su mieux l'apprendre lorsque je naviguais dans les « bains sonores » d’Akerrrou, Tizi-Rached, Azazga (ou toutefois, à ma défense, on avait toujours la courtoisie de parler français lorsque j'étais supposé prendre part à la conversation).

 

C'est en Algérie que nous avons rencontré une société féminine d'autant plus intéressante et attachante qu'elle différait à tous égards de la société de nos mères et de nos grands-mères.

 

Comment ne pas être humblement et amèrement admiratif devant ce qu'ont subi les femmes d'Algérie sous le régime colonial et peut-être surtout depuis un demi-siècle ?

 

Ces souvenirs, ces sentiments-là, font partie de notre vie pour toujours.

 

Nous avons compris en quittant l’Algérie en 1974 que nous serions désormais attachés à tout cela quoi qu’il arrive.

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Jean GALLAND

Le cœur là-bas

Elles et Eux et l’Algérie

Éditions Tirésias, Paris, 2004

 

Pages 281 à 286

REYNAUD-Michel_Elles-et-Eux-et-l-Algerie.jpg

 

Commentaires

Que d'attachement pour ce pays qu'est l'Algérie et la Kabylie en particulier ! Je le partage d'autant que j'ai moi aussi un tout petit bout d'expérience sur cette terre que je ne connaissais pas auparavant et aujourd'hui comme hier je n'arrive pas à m'en détacher. Mes veines et mes neurones vivent d'une alchimie de couleurs, d'odeurs, de paysages, de visages, de sentiments...qui font que peut-être j'ai trouvé là-bas mon espérance de tous les jours.
Bravo pour votre article.

Écrit par : ernest | 12/11/2010

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