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09/11/2008

Les coopérants subjugués par le désert selon Malika MOKEDDEM

"Et puis encore et encore les naufrages des étés. Il n'est de pire sentiment de claustration que celui éprouvé face à des immensités ouvertes, certes, mais sur un néant. Sur l'enfer d'une tragédie pétrifiée pour l'éternité, sans rédemption. Le désert ne subjuguait que les coopérants français qui, eux, le sillonnaient de part en part et le quittaient à l'été pour des lieux plus cléments. Forts de la certitude qu'ils pourraient s'en aller définitivement quand ils le décideraient, ils le vivaient agréablement. Leïla, elle, avait si peur de ne pouvoir jamais lui échapper qu'elle le haïssait, ce désert tyran. Son ciel torve et ses nulle part effarants égaraient son regard, consumaient ses espoirs. La perspective de ces mois qui agonisaient en naissant et installaient l'image de la mort pour longtemps, l'angoissait tant que Leïla en oubliait les véritables causes de son enfermement : la misogynie de la société, d'une part, le dénuement de sa famille et le nombre à présent trop important de sa fratrie qui excluaient toute possibilité de voyage, d'autre part.

Avec les campagnes de vaccinations et la gratuité des soins médicaux, le taux de mortalité infantile dans le pays, auparavant l'un des plus élevés du monde, baissait de façon spectaculaire. Le boum démographique qui s'amorçait et l'importance de l'exode rural rendaient pléthorique la population des villes. Et les plus spacieuses demeures des «biens vacants» devenaient exiguës lorsque s'y entassaient plusieurs générations d'une même famille. Les rares échappées que s'étaient octroyées les Ajalli vers Oujda ne pouvaient plus s'envisager depuis que leur famille s'était exilée à Oran. Après les fastes d'antan perdus avec la mort de Bouhaloufa, ceux d'Oujda avaient laissé derrière eux leurs derniers biens : les charmes et les espaces de la ferme. Ils avaient rejoint l'étroitesse et la routine de la vie des citadins.

À Dar el Barga, faisant fi de la fournaise estivale comme des morsures hivernales ou des mitrailles printanières des vents de sable, Yamina et Mounia exhibaient  comme  des  trophées  de  gros  ventres goguenards. Chaque année. «Comment peut-on continuer à faire des enfants dans ces conditions? » se demandait Leïla avec effarement. Parfois, elle pétrissait inconsciemment son ventre d'une main fébrile en proie à une sourde terreur. « Jamais! Jamais! » Dans la chaleur torride, elle se mettait à trembler et ses yeux jetaient alentour des regards traqués.

- Mon Dieu es-tu malade? s'inquiétait sa grand-mère.

- Non, non. Ce n'est rien."

 

Les hommes qui marchent.

Malika MOKEDDEM.

Éd. Grasset. 1997

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