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28/03/2012

De Boumediene à Bouteflika (P. et C. CHAULET)

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- Quelle était la nature de vos rapports avec Boumediene ?

Pierre et Claudine : Nous n’avions pas de rapports particuliers avec lui. Il a reçu Claudine  après sa thèse sur «La Mitidja autogérée» pour la féliciter.

CHAULET Claudine_La Mitidja autogérée_couv.jpg

- Ce n’était pas l’Etat dont vous rêviez ?

Pierre : Il est difficile, après coup de comparer rêves et réalités. Disons que la pratique autoritaire de la gouvernance n’était pas très démocratique, mais on s’en accommodait comme tous ceux qui ont servi l’Etat et ont été des ministres de Boumediene à l’époque (dont certains sont devenus des «démocrates» aujourd’hui). Pourquoi ? Parce que les progrès de la scolarisation, les premières mesures de réforme agraire et l’autogestion des entreprises agricoles, la gratuité des soins médicaux, la nationalisation des hydrocarbures, les premières élections communales et aux assemblées de wilaya nous paraissaient autant d’acquis positifs dans la ligne de nos espoirs. Et surtout, nous avions eu tellement peur à la fin de la guerre et après la crise de l’été 1962 que le Pays sombre dans le chaos et une partition régionaliste, que nous pensions qu’après tout, cela aurait pu être pire !

 

- Avez-vous rencontré  Boudiaf ?

Pierre : Oui. Peu de temps après son arrivée à la tête du HCE, nous avions  dans les services de santé publique une grave pénurie de médicaments essentiels (dont les médicaments antituberculeux), conséquence de l’ouverture débridée à l’économie de marché. Des amis proches m’ont conseillé d’aller le voir. J’ai trouvé un  responsable attentif et ouvert, qui a compris mon inquiétude, étant lui-même un ancien malade. Pus tard j’ai eu l’occasion de le rencontrer après avoir été élu comme vice-président de l’Observatoire national des droits de l’homme.

 

- Comment avec vous vécu l’assassinat de Boudiaf ?

Pierre : Avec abattement. C’était un nouvel espoir de redressement qui disparaissait.

 

- En 1994, vous avez quitté l’Algérie et pris temporairement le chemin de l’exil. Vous avez déclaré récemment que vous avez été exilés deux fois dans votre vie : la première à cause des parachutistes français, la seconde à cause des «barbus»...

Pierre : Oui. Ce sont des exils que nous n’avions jamais programmés dans notre vie, tous deux dus à la barbarie dont sont capables des être humains qui souhaitaient nous faire disparaître. La première fois, parce que de toute évidence nous étions de «mauvais Français» donc des «traîtres» ; la seconde fois parce que nous étions de faux Algériens, «impies» et agents du tyran. Mais chaque fois, nous sommes revenus, avec joie, reprendre notre place… juste un peu plus vieux !

 

- Votre retour a coïncidé avec le retour de Bouteflika...

Pierre : C’est une simple coïncidence. Après notre séjour à Genève, où j’ai travaillé à l’OMS, nous sommes restés un an à Paris pour des problèmes familiaux liés à la maladie et au décès de ma belle-mère.

 

- Durant la révolution ou juste après l’indépendance, avez-vous vu venir le péril intégriste ?

Pierre : À cette époque, on ne parlait pas de péril intégriste. Cette mouvance s’est manifestée au moment des discussions sur le Charte Nationale, et s’est développée après 1988, s’appuyant sur le désir d’ouverture démocratique et la volonté  des responsables de l’époque de sortir de l’économie centralement planifiée. Ce péril a culminé pour moi quand j’ai appris être inscrit sur les listes des personnes à éliminer.

 

- Et l’avenir, comment le voyez-vous ?

Pierre : À court terme, confus et mouvementé. À plus long terme avec confiance, parce que je pense que l’intelligence collective reprendra le dessus et que je fais confiance aux nouvelles générations qui ont été formées grâce à – et après – l’indépendance. C’est eux qui poseront les problèmes en termes nouveaux et sauront trouver, je l’espère, de bonnes solutions, en tout cas meilleures que celles qui ont été apportées jusqu’à présent. C’est leur intérêt et celui de leurs enfants.

 

Source El Watan

 

22/03/2012

1962 vu par Pierre et Claudine CHAULET

Interview de Pierre et Claudine CHAULET

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- Comment avez-vous vécu le 5 Juillet 1962 ?

Pierre et Claudine : En banlieue parisienne, dans une soirée organisée par la Fédération de France du FLN. Nous avons fêté l’indépendance qui était enfin là. Et nous savions que d’autres problèmes aller se poser ...

 

- Comment avez-vous trouvé Alger à votre retour, avec les «Pieds-Noirs» qui partaient ?

Pierre : Avec une joie mêlée de peine au souvenir des amis proches que nous avions perdu au cours de la lutte. Nous ne pensions pas spécialement aux «Pieds-Noirs» qui partaient : c’était leur choix. Nous avions fait tout ce que nous pouvions pour aménager une phase transitoire acceptable pour ceux d’entre eux qui restaient (enseignants, personnels de santé, ingénieurs, techniciens). Pour nous, comme pour tous les «revenants» de la guerre (anciens détenus, anciens réfugiés à l’extérieur, nouveaux cadres), il fallait trouver un logement et un emploi. C’est ainsi que j’ai signé en juillet 1962 un contrat de médecin  spécialiste à temps plein à l’hôpital Mustapha et que Claudine a été recrutée au Bureau des études au ministère de l’Agriculture et de la réforme agraire, et que nous avons trouvé à louer la maison où nous vivons, à Hydra.

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- La crise de l’été 1962, comment l’avez-vous vécue ? Vous a-t-on conseillé de ne pas prendre position ?

Pierre : Nous l’avons vécue de loin. Cette crise avait été amorcée lors du Congrès de Tripoli. La virulence des ambitions qui s’affrontaient ne nous intéressait pas. Pour nous l’objectif de l’indépendance étant atteint, nous choisissions de faire notre métier et de mettre au service de la collectivité nos savoirs et nos compétences, en médecine et en sociologie rurale. Personne ne nous a conseillé de faire ou de ne pas faire quoi que ce soit. J’ai assisté à une réunion de la nouvelle équipe qui avait pris en mains El Moudjahid, dans les locaux de L’Echo d’Alger : ce n’était plus la même chose qu’à Tunis, je ne me sentais plus à ma place, et je n’y suis plus revenu.

 

- Comment avez-vous perçu l’accession de Ben Bella au pouvoir ?

Pierre : Comme un prolongement de la crise de l’été 1962. On ne nous a pas demandé notre avis ! Il y avait tellement de choses à faire que la personnalité des responsables politiques du moment nous importait moins que la réalisation des taches quotidiennes.

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Source El Watan

 

16/03/2012

Jean-Christophe Mitterrand et Mohamed Lakhdar Hamina

Au Fouquet's

 

" Lorsque Jean-Christophe Mitterrand, le fils du président de la République, effectue sa coopération en Algérie, rappelle Jean Audibert, longtemps ambassadeur à Alger, c'est Mehri qui l'accueille à El Oued." L'autre protecteur du Jean-Christophe Mitterrand en Algérie fut le cinéaste Mohamed Lakhdar Hamina. Grand médiateur lui aussi entre Paris et Alger, son talent lui a donné une aura particulière. Comme de nombreux représentants d'un régime longtemps socialiste, Hamina vit sur un grand pied, entre sa résidence à Hydra, un des quartiers résidentiels d'Alger, et son appartement sur les Champs-Elysées. Le cinéaste n'a pas son pareil pour réciter face à ses amis, le couturier Cardin ou l'actrice Jeanne Moreau, une fable de la Fontaine avec l'accent des Hauts Plateaux ou pour raconter son premier amour avec une institutrice française. De quoi faire fondre ses interlocuteurs parisiens.

Lakhdar Hamina commence sa carrière pendant la guerre d'indépendance. Jeune cinéaste formé à Prague, il réalise avec un maquisard, Djamel Chanderli, un documentaire sur Sakiet Sidi Youcef, le village de Tunisie bombardé par les forces françaises. Il signe tout seul ce document et prend ainsi son envol. Dès l'indépendance algérienne en 1962, Lakhdar Hamina dirige les actualités algériennes, côtoie les présidents algériens successifs et dîne à leur table. Proche du pouvoir, le cinéaste obtient de nombreux films de commande pour les entreprises nationales algériennes. Les patrons du secteur public s'en plaignent à l'époque auprès des ministères de tutelles : "Considérez qu'il s'agit de subventions au cinéma algérien", répond Belaid Abdesselam, alors ministre des Industries lourdes avant de devenir Premier ministre en 1992. Lorsque Lakhdar Hamina réalise "Les Années de Braise", qui obtient la palme d'or à Cannes en 1976 après une active campagne de l'Amicale des Algériens, le budget alloué par le gouvernement de Boumediene est généreux. La PME Hamina tourne à plein régime. A la fin de son règne, Boumediene trouve Lakhdar Hamina un peu encombrant. Il est temps pour le cinéaste d'ouvrir d'autres portes. Il se rapproche du Tunisien Tarek Bennamar, qui appartient au clan de Wassila, la femme de Bourguiba. Les deux hommes proposent au Saoudiens une grande production sur la dynastie wahhabite. Dans un premier temps, Riyad accepte. Mais Lakhdar est trop gourmand, trop bavard. Les émirs préfèrent plus de discrétion. On lui reproche sa morgue, le projet échoue.

Lakhdar Hamina revient pourtant en force lorsque Sid Ahmed Ghozali, Premier ministre algérien de juin 1992 à juin 1993, est nommé ambassadeur à Paris. Entre une séance de gymnastique au Royal Monceau, avenue Hoche, et un dîner fin avec son ami Jacques Vergès, un des avocats "historiques" du FLN devenu le défenseur des islamistes algériens, Ghozali veut lancer avec l'homme d'affaires Addou Hocine et avec Lakdhar Hamina "Le Journal des républicains". Histoire de combattre l'intégrisme. On croit rêver. Indésirable en Algérie, Addou Hocine fut au coeur de la tentative d'exporter des Renault en Algérie en surfacturant les commandes de 35 %. Là encore, quelques fonctionnaires algériens intègres et l'intervention de l'ambassadeur de France, Jean Audibert, déjouèrent la manœuvre. Ce système de passe-droits généralisé est miné par ses propres contradictions. Plusieurs réseaux parallèle de main-mise sur les marchés d'importation se font concurrence. Assassiné en 1993, Kasdi Merbah, l'ancien chef de la Sécurité militaire, à laissé des hommes à lui dans les commissions d'attribution (notamment pour les céréales et le ciment). Ses réseaux se sont opposés à ceux que les hommes de la présidence tentèrent de mettre en place sous Chadli.

Trônant au Fouquet's, sa cantine, Lakhdar Hamina est un homme comblé. Son fils vient de terminer un film sur les événements sanglants d'octobre 1988 où au moins cinq cents jeunes Algériens furent exécutés sur ordre du pouvoir. Grâce aux liens qu'il a toujours conservés avec Hervé Bourges, l'ancien président de France 2, la télévision française a financé le projet. L'armée algérienne a complaisamment prêté ses hélicoptères pour recréer l'ambiance de ce mois tragique. Etrangement, le film n'est guère tendre pour le gouvernement. L'ancien compagnon de route du pouvoir algérien qu'est Lakhdar Hamina sent que le vent tourne. Toujours magnanime, Djillali Mehri organise des galas à l'UNESCO, grâce à l'appui du nouvel ambassadeur de France, Hervé Bourges, en compagnie du recteur de la Grande Mosquée, Dalil Boubekeur, et d'Enrico Macias. Le but : approvisionner l'Algérie en médicaments.

Mehri, aujourd'hui, se rapprocherait des Américains et d'opposants au régime libyen soutenus par Washington et réfugiés à Monaco. Ce revirement ne plaît guère à ses amis français.

 

 

MITTERRAND_Jean-Christophe_ph-NouvelObs.jpegExtraits  de "Paris, Capitale Arabe"

Livre de Nicolas BEAU paru en 1995

 

11/03/2012

Stéphane HESSEL, fier d’avoir aidé à la coopération en Algérie

Rencontre de M. Stéphane HESSEL avec des Lycéens le 22 octobre 2009

Lycée Malherbe - Caen

 

A l’initiative de Madeleine Barbier et de Eric Laloy qui furent professeurs au lycée Malherbe, la première en histoire géographie et le second en philosophie, nous avons eu la joie mais également l’honneur de recevoir à l’amphi Ponge Stéphane Hessel.

Invité le soir même par le Mémorial et en collaboration avec le Collectif 14 de solidarité avec la Palestine et la Maison des solidarités, cet ancien ambassadeur de France, aujourd’hui âgé de 92 ans, a souhaité rencontrer des jeunes en cours de formation.

Six classes, trois premières, deux terminales et une hypo khâgne, encadrées par leur professeurs et en présence de Madame le proviseur et de l’un de ses adjoints ont écouté avec intérêt et plaisir les propos de ce citoyen du monde, né allemand avant de devenir français en 1924.

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En quelques minutes, debout face à son auditoire, avec le verbe facile et toujours à la portée des lycéens et des étudiants, Stéphane Hessel a d’abord exprimé sa joie d’avoir été accueilli sous les applaudissements chaleureux de 250 personnes et de pouvoir rencontrer ceux qui construiront le XXIe siècle, lui qui a eu la chance de traverser le XXe siècle du premier conflit mondial (« Je suis né en 1917! ») à la construction européenne.

Ayant rappelé les grands événements du siècle précédent (« J’ai connu… »), cet ancien résistant a insisté sur l’ardente nécessité de s’ENGAGER. Influencé par la personnalité et l’oeuvre de Jean Paul Sartre, il a fait sienne cette citation du célèbre philosophe: « L’être humain ne se réalise vraiment que s’il s’engage ».

Lui qui aurait aimé être enseignant de philosophie dit en avoir été détourné par les circonstances liées au contexte des années 30. Mobilisé en 1939, ce Normalien rejoint le général De Gaulle en Angleterre. Arrêté en 1944, lors d’une mission sur le sol français, il fut capturé et déporté à Buchenwald. Usurpant l’identité d’un homme mort du typhus, il échappa à la pendaison.

Après mai 1945, devenu diplomate, il poursuit son engagement en participant à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme: « L’un des moments les plus enthousiasmants de ma carrière ». Même s’il sait mieux que quiconque que « ces droits ne sont pas toujours appliqués » et que « nous sommes loin d’avoir réussi », monsieur Hessel rappelle qu’ils existent, qu’ils sont un idéal à atteindre et que les avancées démocratiques depuis sa naissance sont réelles.

Le respect de la dignité humaine est l’un des défis de la génération actuelle, oeuvre à poursuivre sans relâche, jour après jour!

Se tournant vers l’avenir, il énonce deux autres défis à relever au cours du XXIe siècle.

Le premier, « le plus important sans doute », est « le dommage fait à notre planète ». Défi à relever « tous ensemble » puisqu’il en va « de notre survie » et que « seule une organisation internationale », nécessitant donc une coopération entre les peuples, peut prendre à bras le corps.

Autre défi que n’ont su résoudre les générations du XXème siècle, celui « de la misère ». Pauvreté d’autant plus criante que « les riches connaissent cette misère et que les pauvres connaissent cette richesse » grâce aux moyens actuels de communication. Défis qui peuvent mener, à terme, vers des conflits destructeurs.

« Comment faire pour que ces défis ne soient pas décourageants? » se pose-t-il comme question. « D’abord y répondre collectivement…mais aussi individuellement ». Actions collectives et individuelles ne peuvent se dissocier. Ainsi chacun pourra-t-il prétendre au titre de « citoyen du monde…de citoyen sans frontières »!

Avant de donner la parole à nos lycéens et étudiants, ce « vieux monsieur », comme il se définit lui-même, rappelle à son auditoire: « vous êtes jeunes, vous allez vite être moins jeunes…utilisez votre temps » Bref: « AGISSEZ ».

Diverses questions furent posées par ces jeunes surpris par des paroles si proches de leurs préoccupations et si clairement exprimées. « Quel fut votre plus bel engagement? » St. Hessel évoqua son engagement contre le nazisme, lui qui vit le jour à Berlin et dont le père était allemand. Il cita également sa fierté d’avoir « aidé à la coopération en Algérie trois ans après son Indépendance ».

Des questions d’actualité lui ont également été posées. A propos des expulsions de sans papiers afghans, il n’a pas hésité à condamner le gouvernement actuel, a affirmé que la France avait « besoin des immigrés » et qu’il ne comprenait l’initiative du ministre Besson à propos du débat engagé sur l’identité nationale.

A propos du « néo-colonialisme de la Chine en Afrique », il a fait remarquer que ce continent avait « sur les deux derniers siècles, le plus souffert » et qu’il fallait savoir distinguer « l’aide en faveur du peuple lui-même » de celle en faveur « d’un chef d’état » qui trop souvent n’a pour unique motivation que celle de soutenir les intérêts des puissances qui gouvernent notre monde.

Le souhait de « l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne » ne lui pose pas de problème: « La Turquie a toute sa place…Il ne faut pas considérer l’U.E. comme un bloc fermé » mais au contraire « comme un lieu où peut se développer la démocratie ».

A propos d’Israël et de la Palestine, né d’un père juif, Stéphane Hessel s’est félicité de « la création » de cet état après la seconde guerre mondiale mais

regrette que les deux peuples n’aient pu cohabiter et coopérer ensemble. « Optimiste », « une solution est possible » si « l’O.N.U. intervient » pour que deux états « coexistent ». Pour cela, « la haine » doit disparaître, « des concessions » doivent être faites, l’état palestinien à venir doit être viable et les deux pays doivent accepter la partition de Jérusalem, les parties Est et Ouest devant devenir la capitale de chacun.

Il croit fermement à la paix: « Vous allez vivre ce moment quand je ne serai plus ».

Cependant, il ne pense pas que la diplomatie et la non-violence permettront aux deux peuples d’aboutir à un compromis. Même s’il le regrette, « la résistance armée à l’occupation israélienne » est une nécessité.

Un jeune a posé la question à savoir « si nous pouvions croire encore à l’O.N.U.? ».

Ce connaisseur des Nations Unies a affirmé que cette organisation était « une chance » pour l’Humanité. Ayant bien conscience qu’elle était « insuffisante dans ses effets », « qu’elle ne peut réussir car regroupant 192 états », elle rassemble, malgré tout, des peuples et permet « le dialogue ». Sans oublier« des réalisations concrètes ». Par ailleurs, il pense que le président Obama est un espoir pour en faveur des échanges entre nations car il prône « le multilatéralisme » contrairement à son prédécesseur.

Enfin, à savoir si nous pouvons « avoir confiance et être optimiste dans la nature humaine », ce résistant de toujours, avec enthousiasme mais aussi lucidité, a fait remarquer que l’Homme était « une espèce agressive » capable du meilleur comme du pire; qu’il fallait combattre nos penchants destructeurs (« On va dans le mur ») et développer « notre partie tendresse et respect mutuel ». « Soyez la génération solidaire et fraternelle »…des « jeunes responsables » avait-il déclaré lorsqu’une question lui avait été posée sur les acquis de Mai 1968.

Sensible au charme de ce sage, lycéens et étudiants ont ovationné l’auteur de « Danse avec le siècle », d’autant que sa conclusion fut originale. De mémoire, il récita un poème de Rimbaud, poète de la jeunesse.

Clin d’oeil d’un ENGAGÉ à une jeunesse appelée à investir son énergie et son espérance au service de causes collectives.

Merci à Stéphane Hessel.

 

Compte-rendu réalisé par M. BELLANZA, professeur d’Histoire-géographie

01/03/2012

LES DÉSILLUSIONS D'UNE « PIED-ROUGE » (ANNE ROGER BEAUMANOIR)

 

Les accords d'Evian? C'est à Tunis, où elle s'est réfugiée en 1960, que le docteur Anne Roger, mince Bretonne aux yeux turquoise, éminente neurophysiologiste et ancienne « porteuse de valises » du FLN, que la « doctoresse rouge », comme l'a surnommée un journal français, annonce à ses patients que l'heure du cessez-le-feu approche. Les djounouds, ces jeunes maquisards algériens dont elle soigne les troubles psychiques, l'ont-ils entendue? « Lorsque, le 18 mars, j'annonçais avec, jubilation aux pensionnaires des "maisons psychiatriques" du Bardo et de La Marsa que le lendemain serait une grande fête, la plupart restèrent cois. Il est vrai que par définition ils n'étaient pas très clairs du côté de la tête... », rapporte-t-elle avec humour dans son autobiographie, Le Feu de la mémoire, la Résistance, le communisme et l’Algérie, 1940-1965 (Bouchène, 2009).

 

Parmi les soldats algériens qu'elle visite, la plupart souffrent de « névroses de guerre », il y a quelques cas de « schizophrénies, déjà diagnostiquées par [Frantz] Fanon » — auquel elle a succédé — « beaucoup de névroses hystériques, pas mal de simulations ». Certains djounouds ont été les victimes de règlements de comptes au sein de l'ALN. Bien que son expérience tunisoise l'ait « pas mal refroidie », confie-t-elle, quand arrive l'indépendance, elle n'hésite pas : elle s'installe à Alger, rejoignant la cohorte hétéroclite de ceux qu'on baptisera les « pieds-rouges » — ces Européens, Français pour l'essentiel, venus aider à construire « l'Algérie nouvelle ». Sous Ben Bella, le docteur Roger deviendra membre du cabinet du ministre de la santé, directrice de la formation médicale et paramédicale, poste qu'elle occupera jusqu'au coup d'État du colonel Boumediene, en juin 1965. Mais c'est une autre histoire... En mars 1962, l'infatigable quadragénaire goûte la joie de la victoire. Celle des jeunes hommes de l’ALN, que la domination coloniale avait contraint à n'être que des indigènes ou des fellaghas : «Quand je voyais ces soldats... Ils avaient le droit d'avoir leur identité propre, leur nationalité. Ils avaient mérité d'être Algériens, je voulais les aider à ça », explique Annette Roger. «Il n'aurait pas fallu rêver plus loin », ajoute-t-elle aujourd'hui.

 

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Elle qui avait 18 ans, quand elle s'est engagée dans la Résistance, comprend sans doute  mieux que beaucoup les souffrances endurées par les maquisards et les combattants indépendantistes, contraints à la clandestinité ou à l'exil des maquis. Son expérience de résistante (qui lui a valu, à la fin des années 1990, d'être nommée Juste de France par le comité français pour Yad Vashem), son passage au Parti communiste (qu'elle quitte en 1955), puis son militantisme dans les réseaux d'aide au FLN ont affiné ses convictions politiques.

 

Antifasciste et antistalinienne, Annette Roger voit dans l'esquisse de la révolution algérienne l'espoir d'une « nation moderne et démocratique» : contribuer à son éclosion, c'est « participer à l'émanci­pation des peuples opprimés » et «aider au maintien de liens » entre le futur Etat algérien et la France. Tel était son état d'esprit, au début des années 1960. «Mirage sublime, désillusions en perspective », commente-t-elle aujourd'hui. Sans regret, pourtant : que pouvait-elle faire d'autre, elle à qui on a appris, dès l'enfance, que « brimer, asservir l'autre, surtout s'il est le plus faible, c'est renier son humanité » ?

 

CATHERINE SIMON

Le Monde Hors-Série

Guerre d’Algérie

Mémoires parallèles

2012