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16/03/2012

Jean-Christophe Mitterrand et Mohamed Lakhdar Hamina

Au Fouquet's

 

" Lorsque Jean-Christophe Mitterrand, le fils du président de la République, effectue sa coopération en Algérie, rappelle Jean Audibert, longtemps ambassadeur à Alger, c'est Mehri qui l'accueille à El Oued." L'autre protecteur du Jean-Christophe Mitterrand en Algérie fut le cinéaste Mohamed Lakhdar Hamina. Grand médiateur lui aussi entre Paris et Alger, son talent lui a donné une aura particulière. Comme de nombreux représentants d'un régime longtemps socialiste, Hamina vit sur un grand pied, entre sa résidence à Hydra, un des quartiers résidentiels d'Alger, et son appartement sur les Champs-Elysées. Le cinéaste n'a pas son pareil pour réciter face à ses amis, le couturier Cardin ou l'actrice Jeanne Moreau, une fable de la Fontaine avec l'accent des Hauts Plateaux ou pour raconter son premier amour avec une institutrice française. De quoi faire fondre ses interlocuteurs parisiens.

Lakhdar Hamina commence sa carrière pendant la guerre d'indépendance. Jeune cinéaste formé à Prague, il réalise avec un maquisard, Djamel Chanderli, un documentaire sur Sakiet Sidi Youcef, le village de Tunisie bombardé par les forces françaises. Il signe tout seul ce document et prend ainsi son envol. Dès l'indépendance algérienne en 1962, Lakhdar Hamina dirige les actualités algériennes, côtoie les présidents algériens successifs et dîne à leur table. Proche du pouvoir, le cinéaste obtient de nombreux films de commande pour les entreprises nationales algériennes. Les patrons du secteur public s'en plaignent à l'époque auprès des ministères de tutelles : "Considérez qu'il s'agit de subventions au cinéma algérien", répond Belaid Abdesselam, alors ministre des Industries lourdes avant de devenir Premier ministre en 1992. Lorsque Lakhdar Hamina réalise "Les Années de Braise", qui obtient la palme d'or à Cannes en 1976 après une active campagne de l'Amicale des Algériens, le budget alloué par le gouvernement de Boumediene est généreux. La PME Hamina tourne à plein régime. A la fin de son règne, Boumediene trouve Lakhdar Hamina un peu encombrant. Il est temps pour le cinéaste d'ouvrir d'autres portes. Il se rapproche du Tunisien Tarek Bennamar, qui appartient au clan de Wassila, la femme de Bourguiba. Les deux hommes proposent au Saoudiens une grande production sur la dynastie wahhabite. Dans un premier temps, Riyad accepte. Mais Lakhdar est trop gourmand, trop bavard. Les émirs préfèrent plus de discrétion. On lui reproche sa morgue, le projet échoue.

Lakhdar Hamina revient pourtant en force lorsque Sid Ahmed Ghozali, Premier ministre algérien de juin 1992 à juin 1993, est nommé ambassadeur à Paris. Entre une séance de gymnastique au Royal Monceau, avenue Hoche, et un dîner fin avec son ami Jacques Vergès, un des avocats "historiques" du FLN devenu le défenseur des islamistes algériens, Ghozali veut lancer avec l'homme d'affaires Addou Hocine et avec Lakdhar Hamina "Le Journal des républicains". Histoire de combattre l'intégrisme. On croit rêver. Indésirable en Algérie, Addou Hocine fut au coeur de la tentative d'exporter des Renault en Algérie en surfacturant les commandes de 35 %. Là encore, quelques fonctionnaires algériens intègres et l'intervention de l'ambassadeur de France, Jean Audibert, déjouèrent la manœuvre. Ce système de passe-droits généralisé est miné par ses propres contradictions. Plusieurs réseaux parallèle de main-mise sur les marchés d'importation se font concurrence. Assassiné en 1993, Kasdi Merbah, l'ancien chef de la Sécurité militaire, à laissé des hommes à lui dans les commissions d'attribution (notamment pour les céréales et le ciment). Ses réseaux se sont opposés à ceux que les hommes de la présidence tentèrent de mettre en place sous Chadli.

Trônant au Fouquet's, sa cantine, Lakhdar Hamina est un homme comblé. Son fils vient de terminer un film sur les événements sanglants d'octobre 1988 où au moins cinq cents jeunes Algériens furent exécutés sur ordre du pouvoir. Grâce aux liens qu'il a toujours conservés avec Hervé Bourges, l'ancien président de France 2, la télévision française a financé le projet. L'armée algérienne a complaisamment prêté ses hélicoptères pour recréer l'ambiance de ce mois tragique. Etrangement, le film n'est guère tendre pour le gouvernement. L'ancien compagnon de route du pouvoir algérien qu'est Lakhdar Hamina sent que le vent tourne. Toujours magnanime, Djillali Mehri organise des galas à l'UNESCO, grâce à l'appui du nouvel ambassadeur de France, Hervé Bourges, en compagnie du recteur de la Grande Mosquée, Dalil Boubekeur, et d'Enrico Macias. Le but : approvisionner l'Algérie en médicaments.

Mehri, aujourd'hui, se rapprocherait des Américains et d'opposants au régime libyen soutenus par Washington et réfugiés à Monaco. Ce revirement ne plaît guère à ses amis français.

 

 

MITTERRAND_Jean-Christophe_ph-NouvelObs.jpegExtraits  de "Paris, Capitale Arabe"

Livre de Nicolas BEAU paru en 1995

 

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