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09/01/2012

André LAUDE, Pied-rouge en Algérie (4)

Les femmes et la révolution

Quoi qu’il en soit, s’il y a un « Islam de gauche » au sommet, l’Islam, tel que le conçoivent et l’assument les masses algériennes, est bel et bien un Islam réactionnaire, abâtardi, pétrifié, légué par les dirigeants religieux qui, soumis à la colonisation, devenus ses esclaves et ses valets, le castrèrent de toute sa vigueur dynamique. Grâce à cet Islam, entre autres conséquences néfastes et multiples, se perpétue en Algérie la domination de l’homme sur la femme, domination que ne peut imaginer une femme française.

La femme algérienne, qui, par des moyens divers, a largement contribué au triomphe de la lutte pour l’indépendance du pays, soit en servant d’agent de liaisons, soit en cachant des moudjahidines, soit en aidant à la réalisation d’attentats, soit, même en rejoignant les maquis où elle combattait, soignait, préparait la nourriture, soit en descendant dans la rue lors des mémorables journées de décembre où elle prit parfois la tête des cortèges et montra un courage inouï, un attachement absolu aux idéaux du combat entrepris, cette femme ne participe plus à grand chose aujourd’hui.

Maintenant que se sont tues les clameurs, les portes de la maison se sont refermées sur elle, elle a repris sa place séculaire auprès du foyer, elle est redevenue cette figure muette qui ne s’échauffe qu’au passage des cortèges officiels, où elle apporte aux visiteurs un peu de folklore en poussant ces « you-you » qui parvinrent aux Français à travers les ondes de la radio.  La révolution l’avait en quelque sorte dévoilée, révélée à elle-même. L’éclatement des structures sociales traditionnelles, les nécessités de la lutte, cette certaine égalité qui naît de la fraternité des luttes l’avaient livrée à elle-même, dégagée du carcan, lui avait permis de humer une liberté dont, pour les besoins de la cause la plupart du temps, les dirigeants démagogiques lui promettaient les fruits futurs.

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Les hommes des villes et des maquis, violentés à l’intérieur, ne pouvaient opposer une résistance aussi forte que leurs instincts et leurs conceptions leur imposaient. La femme algérienne trouvait dans cette résistance affaiblie des encouragements. Mais le retour des choses à l’ordre, cet ordre auquel il n’est jamais cessé de faire référence, d’en appeler, fut aussi le reflux des femmes.  Inorganisées, incultes politiquement, illettrées, elles ne pouvaient faire face à la situation. La révolution est affaires d’hommes, les grossesses et la cuisine sont des occupations de femmes. Situation tragique dans un pays où l’élément féminin constitue plus de la moitié de la population, élément qui ne participe que faiblement à l’activité économique du pays et qui est pour tout dire, exclu de l’activité politique.

Certes, il existe bien une « Union nationale des femmes algériennes » mais cet organisme est animé par des femmes « évoluées » des villes dont la bonne volonté n’est pas à nier, mais dont la difficulté à créer un dialogue avec leurs soeurs défavorisées des bidonvilles, des quartiers surpeuplés, et avec leurs soeurs de la campagne, n’est pas à nier non plus.  L’appareil existe mais il est sclérosé, paralysé, et manque de troupes.  « L’Union nationale des femmes algériennes » est une excroissance du régime, du F.L.N. En conséquence il souffre des mêmes contradictions dont souffrent le régime et le parti.  Il est condamné à agir dans le sens déterminé par le « sommet », selon les intérêts de l’Etat et de la nation et non selon les intérêts spécifiques des femmes. De plus, et comme cela fut presque toujours le cas, les hommes considèrent que les problèmes de la femme doivent être réglés par les femmes elles-mêmes, dans un cadre dessiné par les hommes, alors que pour l’Algérie plus particulièrement, ainsi qu’en témoigne encore l’ouvrage publié chez F. Maspéro, l’émancipation de la femme ne peut se faire qu’au prix de l’émancipation de l’homme, ces deux émancipations devant se nourrir, l’une l’autre pour surmonter les obstacles hérités du passé, de la mentalité féodale, qui fait de l’homme un oppresseur et de la femme une complice inconsciente de son seigneur et maître, lequel trouve dans cette acceptation de la soumission, et dans le fait que ses parents et ses grands-parents agissaient ainsi, la justification de mâle.

Seul un homme algérien désaliéné, capable de comprendre que mentalités sont aussi des produits sociaux, des produits de la lutte des classes pourra soutenir la femme aliénée dans son effort vers la liberté. Mais, il est vrai si nous en croyons Amar Ouzegane, que l’Algérie n’a rien à voir avec la lutte des classes et qu’il n’y a dans ce pays que deux genres d’individus : les masses travailleuses installées au pouvoir en la personne des équipes gouvernementales, et la « bourgeoisie » vivante encore mais impuissante, et reléguée loin des leviers de commande ! Schéma intéressant mais qui pourrait ne pas résister à une analyse scientifique des plus élémentaires.

(Journal Combat 8 juin 1965)

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