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02/01/2012

André LAUDE, Pied-rouge en Algérie (3)

Une revanche

Certes, tout le monde n’était pas de l’avis du secrétaire général du parti. Le spectacle me fut donné à plusieurs reprises, dans le secret d’appartements, d’Algériens qui trouvaient dans l’acte d’absorber quelque nourriture ou boisson, avant le traditionnel signal du muezzin, annonçant la rupture du jeûne, une jouissance égale à celle que pût trouver chez nous un marquis de Sade, lorsqu’il blasphème et profane, dans son Dialogue entre un prêtre et un moribond, par exemple.  Mais c’était là actes isolés, d’intellectuels, de bourgeois ou de militants évolués, d’une jeunesse qui appréhendait dans la révolution l’espoir de voir un vieux monde mené solennellement au tombeau au son des flûtes et des derboukas de la révolution.  Rapport de l’islam et de l’homme algérien : certains, qui n’ont jamais mis les pieds en Algérie, qu’en songe, m’accuseront de m’attarder à des banalités, au lieu d’en venir à l’essentiel, qui est planification, socialisme, État ouvrier. Mais le jeu, dirons-nous, en vaut la chandelle car ne pas tenir compte de l’Islam, si l’on évoque les chances et les espoirs d’un socialisme algérien, serait commettre une grave faute et partir sur des bases erronées.

En effet, on ne saurait nier qu’à l’heure actuelle, l’Islam constitue un des freins les plus puissants à une évolution des masses vers une société socialiste. Je sais qu’une telle affirmation va à l’encontre de l’opinion de certaines têtes pensantes en Algérie, au premier rang desquels il convient de situer Amar Ouzegane, l’ancien premier ministre de l’Agriculture et actuel directeur de "Révolution Africaine" revue et corrigée depuis le départ de Mohammed Harbi.  Dans cette publication, l’ancien secrétaire du Parti communiste algérien publie de vigoureux éditoriaux au long desquels il s’applique à démontrer que la vocation socialiste de l’Algérie et des algériens est toute entière explicable par le Coran, dont, si certains ont pu trahir dans le passé la lettre, afin de faire triompher certaines conceptions sociales, l’esprit demeure à la pointe de l’avant-garde.  Il faut bien avouer que ce subtil distinguo n’est fait qu’au niveau d’un petit carré d’intellectuels qui vont chercher chez les promoteurs de la Renaissance (la nadha) islamique, et pour ce qui est de l’Algérie, chez les travaux des ulémas entraînés par l’exemple du cheikh Ben Badis, des preuves, qui selon eux justifieraient leurs théories. Pour ces intellectuels, il y a sans doute, plus ou moins volontairement ressenti, plus ou moins clairement énoncé, un désir obscur de revanche sur la pensée occidentale, de fonder l’esprit nouveau sur les bases qui renoueraient avec le passé.

La condition de colonisé qui n’a pas pris fin avec la proclamation de l’indépendance, ajoutée peut-être à la nostalgie de l’âge culturel du monde arabe, ce rejet de tout recours à la pensée socialiste « extérieure » telle qu’elle a été façonnée en Europe, sous prétexte de « spécificité algérienne », expliquent ce culte chez un Amar Ouzegane par exemple d’un Maghreb de rêves, d’un Maghreb de pâtres et de bergers, restitué dans sa pureté et sa blancheur originelle.  Certes ce sont là des thèmes hautement valables du point de vue lyrisme et poésie, mais cela ne fait pas sérieux du point de vue idéologique et socialiste.

 

(Journal Combat 8 juin 1965)

 

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Révolution africaine

Numéro du 11 janvier 1964

 

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