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19/01/2012

André LAUDE, Pied-rouge en Algérie (5)

Quand la révolution triomphait à la terrasse du Berry

En ces premiers mois de l’année 1963, en dépit des ombres inscrites au tableau, en dépit des faiblesses idéologiques du pouvoir révolutionnaire, conglomérat de diverses tendances contradictoires à propos desquelles mon ami Gérard Chaliand a écrit des pages pertinentes dans son ouvrage « l’Algérie est-elle socialiste » ? (éd. Maspéro), tout paraissait possible en Algérie. La révolution flottait dans l’air, les étudiants aux terrasses du « cercle Taïeb » et de la « Cafeteria » discutaient chaleureusement marxisme, culture révolutionnaire, Islam et nécessité des milices ouvrières.

Il y avait un autre haut-lieu de la révolution : le « Berry », situé en bas des escaliers de l’ex-Forum rebaptisé « Esplanade de l’Afrique », à peu de distance du port que le regard découvrait en contrebas, il était un peu une annexe de Révolution Africaine. Entre deux articles, on y venait se désaltérer, bière pour les européens et jus de fruits pour les frères algériens. Des projets prenaient forme dans le tumulte des allées et venues, le fracas des voix et la fumée des cigarettes. C’était le lieu de rendez-vous préféré de la petite colonie, turbulente et échauffée des « Français de gauche » qui avaient déserté Saint-Germain-des-Prés et les quais de la Seine, préférant aux charmes de Paris, capitale du royaume gaulliste, les charmes de la révolution, charmes auxquels venaient s’ajouter les plaisirs de la baignade quotidienne et du dépaysement. Au Berry, on était sûr de retrouver ce cher Georges Arnaud, le « français le plus anti-français » comme l’a baptisé « Minute ». L’auteur du « Salaire de la peur » avait trouvé place dans les services de l’information.  Derrière son verre il tempêtait et pestait contre tel ou tel. Arnaud brûlait d’impatience, ses yeux profondément incrustés, cloués au fond d’orbites étroites, scintillaient, pétillaient d’intelligence, de malice. Il était bien l’homme de ses bouquins, charriant le sexe et le sang, l’or et l’excrément, tripes au soleil. Arnaud dressait sa révolution, la vivait intensément, en cherchait les traces sur les visages, le long d’un mur. Baroudeur, il se sentait à l’aise partout. Il appelait, si je puis m’exprimer ainsi, le feu de Dieu et le tonnerre de Brest. J’espère qu’il écrira tout cela un de ces jours, entre deux franches bordées, avec les copains.

Sa femme charmante et rieuse qui répondait, si ma mémoire est bonne, au doux surnom de « Quat’ Pattes » apparaissait parfois lorsque ses devoirs de mère, d’épouse et de combattante de la révolution lui laissaient quelque liberté.

AMAR BENTOUMI+JACQUES VERGES.jpg

Amar BENTOUMI et Jacques VERGÈS

 

Au Berry, on rencontrait aussi le doux Hervé Bourges, celui de Témoignage chrétien, pour qui le chemin de l’Algérie avait été un peu le chemin de Damas, un chemin de lumière. Bourges adorait la révolution algérienne, Ben Bella, les fellahs et les ouvriers, en bloc. À la terrasse du Berry venait parfois s’asseoir Jacques Vergès qu’avec malice nous appelions Mansour. En effet, sans doute pour s’intégrer plus à sa nouvelle patrie, Jacques Vergès avait arabisé son patronyme. Tout comme Maurice Maschino, l’auteur de Refus et de l’Engagement qu’on appelait plus que Tarik tandis que sa délicieuse épouse avait opté pour Fadéla.

 

(Combat du 10 juin 1965)

 

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