26/12/2011
André LAUDE, Pied-rouge en Algérie (2)
Dans la grotte de la révolution
Nous roulions entre deux rangées de palmiers qui étincelaient, ruisselant d’une clarté matinale. Il faisait chaud, une petite brise fraîche caressait mon front. Par la vitre abaissée, j’apercevais des groupes d’hommes d’où jaillissait parfois la note claire d’un burnous. Des femmes voilées, la tête chargée d’un fardeau en miraculeux équilibre, marchaient le long des bas-côtés. J’entrais dans Alger, fasciné à l’avance par une blancheur que les livres du passé m’avaient promise. Mon regard cherchait dans les failles de la hideuse architecture de la colonisation, la couleur espérée, symbole de pureté islamique, glissant vite sur la grisaille des murs, les enseignes sombres des magasins. J’entrais dans une capitale saisie par le Ramadan. Mon ami le chauffeur, à qui je demandais l’adresse d’un hôtel en rapport avec ma bourse me dit qu’il avait ce qu’il me fallait.
Nous nous retrouvâmes sur une avenue bordée d’arcades sous lesquelles sommeillaient (?), pêle-mêle, des groupes d’hommes, de femmes et d’enfants vêtus, si l’on peut dire, de haillons. J’aperçus deux ou trois vieillards, les fesses affaissées sur les talons, le dos collé au mur : leurs lèvres bougeaient tandis que leurs mains qui surgissaient du burnous trituraient un chapelet. Le temps de déposer mes bagages, de remplir ma fiche, de faire un brin de toilette, et je partais à l’aventure, à la découverte d’une ville, les yeux écarquillés jusqu’à la douleur pour absorber le plus de formes, de couleurs, les oreilles à l’affût. Je m’accordais un jour de liberté. Demain, je nouerais le contact. Dans mon portefeuille, j’avais serré la lettre de mes amis, Algériens de Paris, le sésame magique pour pénétrer dans la grotte merveilleuse d’une révolution dont pour l’instant, je cherchais à déchiffrer les signes de vie, parmi les rues. Sur les visages d’une foule étrangement close sur elle-même et disciplinée, accoudé à un parapet, face au port d’Alger, à la hauteur du square Port-Saïd (l’ancien nom m’échappe), tandis qu’un timide soleil brillait au-dessus des bâtiments maritimes, j’observais à la dérobée, éprouvant une curieuse sensation d’irréalité.
Les êtres me paraissaient à la fois proches et lointains. Etait-ce à cause de ces visages qu’on aurait dit être figés dans une méditation dont les racines plongeaient au plus secret de la chair, était-ce parce que les voix ne m’arrivaient plus que comme un murmure sourd, prenant parfois des allures de mélopée ou de litanie. Etait-ce le vertige qui saisit tout visiteur, vacant et disponible, dans les minutes qui suivent le moment où il a posé le pied sur une terre pour la première fois abordée. Je ne sais.
Cette coïncidence entre mon arrivée et le Ramadan allait me permettre de découvrir cet élément mystérieux dont est composé l’homme algérien : l’Islam. Les cafés fermés me génèrent plus qu’ils me surprirent. Je connaissais le virulent de Mohammed Khider, alors secrétaire général du parti, qui avait brandi, sur les antennes de la radio, la foudre d’un obscur châtiment au-dessus de la tête de ceux à qui l’envie pouvait venir de ne point respecter intégralement les devoirs qui incombent à tout bon musulman, en cette période de l’année. Les pelotons d’exécutions étaient presque promis à ceux qui auraient pu songer à jouer les briseurs de jeûne. « Casser le Ramadan », vous aurait relégué en ce mois de janvier, en Algérie nouvelle, au rang de déicide.
(Journal Combat 8 juin 1965)
Mohammed Khider
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