20/10/2011
Sur les pas de Jean BOUDOU (Francis PORNON)
Lundi 18 mai 2009
[…] La porte s’ouvre sur une passerelle balayée de lumière et de chaleur. C’est déjà l’été en Afrique du Nord, et c’est toujours la lumière qui fait cligner des yeux et me contraint à chausser mes lunettes de soleil. Une fois encore, je me retrouve sous le haut ciel de Kateb Yacine, dans le soleil noir de Camus et de tant d’autres auteurs. J’ai en tête ces mots de Boudou :
« Derrière moi, le soleil au zénith. Devant moi, tout le pays s’étend jusqu’à la mer, là-bas, à l’horizon, dans un éblouissement… “que calelheja” »
Vers les bureaux, policiers en bleu clair et douaniers en kaki ne daignent même pas me regarder passer. Il est vrai que mon physique ne me dénonce pas comme étranger. Je pénètre tout naturellement dans l’aéroport de Dar-el-Beida. Passée la sortie de douane et de police, je ne vois pas l’ami Zahir qui a promis de venir me récupérer. Je m’assieds sur ma valise rigide.
Qu’est-ce que je viens encore fabriquer en Algérie ? Il faut croire que je n’ai pas tout épuisé d’ici, de ce que recèle ce continent géographique et mémoriel. Je reviens à nouveau de ce côté de la mer, comme un miroir que je ne puis m’empêcher de franchir, en quête de je ne sais exactement quoi.
De l’autre côté, on se demande quel intérêt il peut y avoir à se rendre en Algérie. Certains commerciaux y viennent pour leur profession. D’autres, beaucoup, n’y mettent pas les pieds et n’envisagent même pas de le faire. Lorsque l’on a, comme nombre de Français, vécu là à des titres divers dans ce qui était dit « la France », il existe un grand mur qui fait obstacle au retour, bien plus infranchissable que le Grand-Fleuve.
Je tourne mes regards en tous sens pour tâcher d’apercevoir Zahir. Je ne reconnais pas vraiment le vaste hall moderne de l’aéroport. Un curieux dôme abrite une cafétéria dont j’effectue le tour. Personne, sauf les propositions à mi-voix des taxis clandestins et sauf des gens qui attendent aussi. Je fais rouler ma valise pour m’asseoir dans un fauteuil. Et je guigne les femmes, la plupart sans voile, certaines juste coiffées d’un foulard, le regard noir.
L’ami se fait toujours attendre. Il ne répond pas sur son téléphone mobile. Pourtant je lui fais confiance, il doit seulement être retardé. J’ai pu compter sur lui en des moments difficiles en 1998, lorsqu’il m’a hébergé et baladé dans Alger encore engluée de terrorisme. Et je sais que la patience est vertu cardinale ici. Elle présente au moins l’avantage de laisser le temps de penser.
Un vieux chibani me fait pousser pour s’asseoir à mes côtés. Il est coiffé du turban kabyle jaune sur un inénarrable veston élimé. Tandis que passent des hommes costumés et cravatés comme dans tous les aéroports du monde, je regarde mieux les femmes. Il en est qui portent la morne tenue longue et à capuche, de couleur grise ou marron, censée les isoler du monde ambiant. D’autres semblent sortir d’un catalogue de mode parisienne, le pantalon collant et le décolleté plongeant.
« Et je souffrais de voir ce sein blanc et gonflé. Notre-Dame du Lait […] » Jean Boudou écrivit ceci dans "Le Livre de Catoïe". C’était en France. Mais je l’imagine ici devant ce spectacle. Choc fascinant et maléfique de rondeurs féminines, interdites et pourtant désirées ! Tout ce qui vit en Algérie n’est-il pas, pour un Français, honteux et convoité ? En conscience ou bien dans l’ignorance.
Et voilà que je reviens, toujours poussé par la détresse et aussi l’enthousiasme. Cette fois, il s’agit de marcher sur les traces de Boudou, un écrivain en occitan qui vécut par ici les dernières années de sa vie, de 1968 à 1975. Une quête d’homme comme je les affectionne. Je suis déjà parti dans des aventures du même genre, à la recherche de personnages : Couthon, Vailland, Boujard … Une recherche du temps perdu [...] »
Extrait de : En Algérie sur les pas de Jean Boudou ;
Ed. Lazhari Labter (Alger, 2010)
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