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14/10/2011

Brahim et le Coopérant syrien (Nacer KETTANE)

 

Les journées commençaient toujours de la même façon. Brahim et ses camarades se levaient très tôt. Un tuyau d'arrosage derrière l'école leur servait pour faire un brin de toilette.

La fin de matinée était réservée à l'élaboration du plan de la journée et des actions à entreprendre. En général, la discussion commençait une fois que le rapport sur la journée de la veille était adopté. L'estafette était enfin arrivée et les choses sérieuses pouvaient commencer.

 

STAOUELI_Domaine Borgeaud_(Ancienne Trappe).jpg

Après avoir sillonné tout le domaine Borgeaud, l'estafette prit la direction de Bouchaoui. Le centre de soins était un bâtiment d'une seule pièce, sans étage. La salle d'attente regorgeait de monde et il n'y avait en tout et pour tout que trois pièces pour accueillir et soigner les malades. Le centre était dirigé par un coopérant syrien.

–          Ces gens-là sont comme des bêtes, disait-il, ils ne comprennent rien de rien. Pour un oui, pour un non, ils viennent au centre. C'est gratuit, alors ils en profitent.

Sa femme, qui lui servait d'aide, surenchérissait.

–          En plus ils sont indisciplinés, il faut voir. Ah! heureusement que j'ai ma belle salle de bains pour me relaxer et oublier tout ça de temps en temps.

 

Brahim n'en croyait pas ses oreilles. Il se dégageait des paroles du médecin un mépris qui lui rappelait les ratonnades de Paris. Il se demandait d'ailleurs comment ce médecin pouvait se faire comprendre de la population puisqu'il parlait soit en anglais, soit en arabe littéraire du Moyen-Orient, et que les Algériens parlaient l'arabe dialectal ou le berbère.

                    Tu sais, lui dit Arezki, il y a encore beaucoup de travail avant que le peuple algérien soit réellement indépendant. Ces gens-là reproduisent les schémas coloniaux de ceux qui nous inculquaient « nos ancêtres les Gaulois », sauf qu'aujourd'hui, comme dit la chanson, c'est « l'Orient et ses rois ».

 

–          Je vous propose une pause d'une heure, dit le chef de brigade, personnellement j'ai le ventre creux. L'estafette prit la direction du centre-ville, et c'est un groupe joyeux qui entra dans le café-restaurant.

–          Sandwich-merguez pour tout le monde, com­manda Djamel. Avec des cafés.

 

Leïla, quant à elle, se tassait dans un coin de la salle. Brahim avait déjà remarqué lorsqu'ils étaient de sortie que ses camarades obligeaient presque Leïla à se cacher et à ne pas trop se manifester. Pour eux, il ne fallait pas que les gens remarquent trop sa présence.

–          Tu comprends, disait Ali, ça risque de discréditer notre action révolutionnaire. Les gens ne sont pas habitués à voir des femmes mener ce genre d'actions.

Leïla acceptait de se sacrifier pour le volontariat socialiste.

« Pauvres types, pensait Brahim. C'est vous qui vous discréditez. » Il songeait alors à toutes ces femmes – Houria Meddad, Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouha­red (Bouhi­red), Malika Gaïd et d'autres – qui, le fusil à la main dans la tradition de la Kahina et de Fahma n'Soumer, avaient lutté aux côtés des hommes pour chasser le colonialisme. Ces femmes avaient créé les conditions de leur émancipation, et voilà que, maintenant, les hommes les maintenaient sous tutelle, comme des mineures permanentes pour qui on décide de tout. Brahim se disait que le socialisme était effectivement en marche, mais en marche arrière.

Après s'être restaurés, Brahim et ses camarades repartirent vers une nouvelle destination. Tout en roulant les jeunes chantaient en arabe :

 

19 mai nadouat el chabi­ba - 19 mai congrès de la jeunesse,

Djamià el fias at djendou li l'hedna - Toutes les forces vives se sont mises au travail,

Barnamedj âmel houa li ouahedna - Travail qui tous nous unit.

 

 

KETTANE-Nacer_le-sourire-de-Brahim.jpgNacer KETTANE 

 

 

Le sourire de Brahim

 

Éditions Denoël

 

Paris ; 1985

 

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