26/08/2011
Jean-Louis SAHUT à BOUZEGUENE (3)
Je décide donc, compte tenu de ces informations, de m’adresser au nouveau Président de la Délégation Spéciale pour lui annoncer mon retour lors de la prochaine rentrée. Il me répond sans tarder le 9 septembre 1963.
« C’est un plaisir pour moi d’apprendre votre prochain retour et vous suis gré de votre décision de coopérer encore cette année avec nous. Aucun changement n’étant intervenu depuis votre départ, je vous signale que le local mis à votre disposition sera prêt à vous recevoir à la date indiquée. Le personnel communal vous envoie ses bonnes amitiés et vous prie de croire, Monsieur SAHUT à mes meilleurs sentiments. » signé Sadaoui Rabah, Président de la Délégation Spéciale de Bouzeguene.
Malgré mes efforts, j’ai un peu de retard dans ma correspondance. Je réponds en priorité à la gentille lettre que m’a adressée, le 4 septembre 1963 depuis Marseille, Habbas Arezki. Celui-ci m’explique que son cuisinier parti, il était surchargé de travail mais qu’heureusement ses neveux vont le remplacer « un peu », ce qui lui permettra de séjourner plus longuement à Bouzeguene. Il m’invite une nouvelle fois à venir lui rendre visite dans son restaurant du 59 de la rue Bernard Dubois. Je m’y rendrai le 18 septembre avant d’embarquer pour Alger. A la rentrée 63, deux nouveaux collègues français arrivent à Bouzeguene. Tous les trois, nous occupons la villa située dans le bordj.
Entrée du Bordj (durant la guerre d'indépendance)
Jean-Charles Torre vient d’Aït-Aïcha où il est arrivé en 1959. Il s’y sent maintenant un peu isolé. C’est pourquoi il a demandé une nouvelle affectation. Il vient d’être nommé à l’école d’Aït-Ferrach, village assez éloigné de Bouzeguene. Il ne possède pas de véhicule. Il a pour tout moyen de transport une mobylette d’occasion qui tombe régulièrement en panne ! ... Je lui porte tout naturellement secours ! Nous sommes bien souvent obligés de transporter cet engin en utilisant le car Amrouche jusqu’à Azazga pour une « réparation » qui dure parfois la semaine !...Finalement il abandonne ce moyen de transport qui pose plus de problèmes qu’il n’en résout. Jean-Charles termine l’année scolaire en accomplissant, matin et soir, une longue « marche, promenade » bénéfique pour sa santé et pour sa ligne : il se contente de plus d’un simple sandwich pour le repas de midi ! ...
Ne souhaitant pas prolonger cette expérience, il postule pour l’école de Bouzeguene. Faute de poste vacant, il est finalement nommé à Tamda près de Tizi-Ouzou. Il rentrera en France en 1969. Le second enseignant, Albert le Henaff arrive de Tifrit-Naït ou Malek après un passage à Aït-Aïcha. Il est nettement plus sportif que moi : il rejoint chaque matin l’école d’Aït-Saïd en « petites foulées ». Il gagnera la France à la fin de l’année scolaire 63-64. Lors de nos moments de loisirs, nous nous déplaçons fréquemment vers Azazga ou Alger. La marche à pied cependant, en compagnie des collègues venus nous rejoindre, nous a permis de connaître cette belle région. A plusieurs reprises, nous gagnons le douar de Beni Ziki derrière la célèbre « Main de la Fatma ».
A d’autres reprises, avec Jean-Charles Torre nous rendons visite à des familles de parents d’élèves : nous sommes toujours accueillis avec une très grande gentillesse et beaucoup de chaleur notamment par la famille Amiar du village de Aït-Sidi-Amar.
Après le départ de mes deux collègues, il m’arrive fréquemment, avant de me rendre en classe, de m’arrêter chez Monsieur Moussaoui, juste en face de la boutique du jeune coiffeur. Il tient un petit restaurant situé non loin de l’école. Il prépare une délicieuse chorba : ses plats mijotés et son couscous garni et copieux font souvent mes délices. Je m’y rends assez régulièrement : cela m’évite en général de faire la cuisine. À l’époque, ce n’est pas une de mes spécialités. Il m’arrive aussi, lorsque je dispose d’un peu de temps libre de bavarder longuement avec lui « mais seulement après le service » me répète-t-il à chaque fois !
À son tour notre Inspecteur primaire, Monsieur Chala, quitte son poste pour suivre une formation spécifique. Dans sa lettre du 15 septembre 1963, il écrit : « Au moment où mon devoir m’appelle en dehors de l’Algérie, je veux vous exprimer, avant mon départ, toute ma gratitude pour l’aide que vous avez voulu m’apporter spontanément, pour cette amitié, cette affection encourageante qui m’ont permis, dans une large mesure, de ne pas céder à la lassitude, à la déception »…. Monsieur Rabah Kessal lui succède.
Avec la municipalité, nous commençons à mettre en place un service de cantine pour les plus démunis puis pour l’ensemble des élèves avec le concours du Croissant Rouge Algérien.
Au début, il s’agit simplement de repas froids. Comme nous ne disposons pas encore de local adapté, la distribution se fait à domicile. Les enfants pénètrent dans l’appartement par l’entrée principale et ressortent par l’arrière du bâtiment après avoir reçu une barre de chocolat, une tranche de pain sur laquelle est étalée une couche de confiture ainsi qu’une portion de « vache qui rit ».
Inutile de dire qu’après le passage de 3 ou 4 classes ; le sol de la cuisine était légèrement « imprégné » de confiture !
Le 9 novembre 1963, le nouvel Inspecteur d’Académie, Monsieur Damerdji, m’adresse un courrier : « J’ai l’honneur de vous faire savoir qu’un crédit de cinq mille nouveaux francs est mis à la disposition des écoles du groupe de Bouzeguene. J’entends par « groupe » la totalité des écoles relativement proches de la vôtre et avec lesquelles il vous est facile d’ordinaire d’établir des contacts pour diverses questions. La gestion de ce crédit vous est confiée personnellement. Il vous appartient notamment de procéder, dans la limite de ce crédit, à l’acquisition des denrées alimentaires exclusivement; d’utiliser ce crédit immédiatement… » Je vous signale que la farine, le sucre, le lait seront servis par le Croissant Rouge Algérien, à titre gracieux »
Je prends alors contact avec l’épicier de Bouzeguene, Monsieur Boukais Saïd. Son commerce est situé à l’entrée du centre, en bordure de route. Il tient aussi, juste à côté, une boucherie où nous allons volontiers nous approvisionner pour notre consommation personnelle. C’est une personne de belle prestance, d’un abord facile et agréable. Je le retrouverai plus tard à Azazga où il possède également un magasin de chaussures, si mes souvenirs sont exacts. Nos contacts deviendront alors plus fréquents puisque j’aurai son fils Hocine et un peu plus tard, une de ses filles dans ma classe de CM2.
La cantine commence à fonctionner dans des conditions convenables ; un cuisinier a été recruté, par la mairie me semble-t-il.
Monsieur AMELLAL, Inspecteur départemental des cantines scolaires, m’envoie le 24 février 1965 un courrier dans lequel il me demande de bien vouloir avertir Monsieur le Maire qu’il peut expédier à Tizi-Ouzou le camion de la commune pour prendre possession d’un contingent de farine. Les sacs sont destinés aux cantines scolaires du groupe : Bouzeguene 12 sacs, Ighil Tizi Boa 6 sacs, Haoura 6 sacs, Ahrick 6 sacs, Sahel 6 sacs, Iatoussene 6 sacs, Aït-Ikhlef 6 sacs. Ainsi, grâce à ces livraisons qui vont se renouveler régulièrement, le boulanger, Monsieur TACHE, nous fournit la quantité de pain nécessaire chaque jour. Il participe ainsi avec d’autres partenaires, au bon fonctionnement des cantines scolaires. Cette formule continuera encore après mon départ. Au début du mois d’octobre 1963, nous sommes totalement surpris de voir l’armée gouvernementale du Président Ahmed Ben Bella s’installer dans les anciens bâtiments utilisés autrefois par l’armée française.
Nous apprenons par la radio, car à Bouzeguene la presse n’est pas distribuée, que s’est constitué un Front des Forces Socialistes (F.F.S.), dont Aït-Ahmed aurait pris la tête, pour lutter contre le pouvoir en place.
De nombreux tracts sont distribués. Dans celui du 11 octobre 1963 on peut lire :
«..Algériens, Algériennes, le Front des Forces Socialistes a le 29 septembre 1963 affirmé sa volonté inébranlable de résister au Fascisme...Le régime ébranlé, sans assise populaire, ne s’appuyant que sur de multiples polices, affiche ainsi clairement sa volonté d’assassiner tous les véritables militants, artisans de la victoire, au profit des « Héros de l’extérieur .... » Nous prenons avec vous l’engagement solennel de ne cesser le combat qu’après la destruction de ce régime. »
Celui du 15 octobre est tout aussi explicite :
« ...Peuple algérien, l’heure est grave. Il faut balayer au plus vite le régime de faillite. Le temps n’est pas loin où Ben Bella accusait Boudiaf de complot avec Bourguiba. Le masque est tombé ; l’équipe d’Oujda a vendu une partie du territoire national. Sûr d’interpréter tes aspirations profondes et ton sens de l’honneur, le Front des Forces Socialistes déclare : qu’il considère nul et non avenu tout accord qui porterait cession d’une parcelle du territoire national.... »
Quant au communiqué du 16 octobre 1963, il affirme : « Devant les menaces qui pèsent sur notre pays, Ben Bella a adressé un appel à l’union... Le F.F.S. né de la faillite du FLN n’est pas dupe de cette manoeuvre. Il ne transigera pas néanmoins sur le principe de l’intégrité du territoire et décide d’acheminer par ses propres moyens un bataillon de volontaires pour faire face aux menaces extérieures.... » Mais devant le danger qui semble se préciser, le FFS, dans un nouveau communiqué daté du 23 octobre 1963, proclame la trêve à partir du jeudi 24 octobre. Finalement, Ahmed Ben Bella donne son accord sur tous les points soulevés par le F.F.S. . Une délégation de 5 membres, dont le colonel Mohand Ou El Hadj et le commandant Si Lakdar, est dépêchée pour conclure cet accord qui met fin à la division et à la dispersion des forces vives du pays, face aux revendications territoriales du Maroc dans la région de Tindouf. Durant la présence des militaires, nous n’aurons jamais aucun problème. Je rencontre d’ailleurs une ou deux fois le commandant de cette compagnie qui me rassurera en précisant qu’il s’agit là d’un conflit entre Algériens et Marocains et qui ne concerne en aucun cas les étrangers, en particulier les coopérants français. Il est inutile de souligner que dans cette affaire interne à l’Algérie, notre neutralité était totale.
Jean-Louis SAHUT
Volvic juillet 2 007
Extraite de : Un jeune enseignant français en Grande Kabylie (1958 - 1973)
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