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11/08/2011

Jean-Louis SAHUT à BOUZEGUENE (2)

Peu à peu, des changements commencent à intervenir. Nous recevons une lettre de l’Inspecteur d’Académie, Paul Fohr, datée du 19 novembre 1962, dans laquelle il écrit : « À quelques heures de quitter un pays où j’ai passé le tiers de mon existence, ce n’est pas sans émotion que je prends congé de vous…Je tiens à préciser que je regagne la France pour des raisons d’ordre administratif, d’ordre familial, d’ordre personnel et que la politique n’entre pour rien dans ma décision….Je continue à penser que l’indépendance de l’Algérie était la meilleure solution, la seule solution, que le peuple algérien est un grand peuple qui a fait l’admiration du monde et forcé le respect de ses adversaires même… » Il est remplacé par Monsieur Alayrangues qui assurera l’intérim en attendant la nomination d’un Inspecteur algérien.

Début avril 1963, une circulaire du Ministère de l’Education Nationale nous précise un certain nombre de points : tous les maîtres des classes primaires doivent assurer un service hebdomadaire de 30 heures. Tous les maîtres enseignant en langue arabe sont désormais astreints aux mêmes obligations que leurs collègues enseignant le français. Les heures consacrées aux cours d’adultes, pour lesquelles il n’est prévu aucune rémunération supplémentaire, peuvent, à la demande des intéressés et sur avis des Inspecteurs primaires, être comprises dans les 30 heures exigibles.

Pour me détendre un peu (le travail scolaire m’accapare beaucoup), je consacre une partie de mon temps libre à la lecture et surtout à la marche. J’en profite pour découvrir les paysages grandioses et variés de la Kabylie. Jusque-là, j’en avais été empêché par les événements.  Le soir, surtout au printemps, lorsque le temps le permet, assis sur les escaliers de la villa, je bavarde avec le nouveau gardien Guettaf Mohand Arab. C’est un homme généreux, toujours prêt à rendre service. Je me souviens qu’une année, lors de mon départ en vacances, il m’avait donné un bidon de 5 litres d’huile d’olive en me disant : « Tiens, tu le donneras à ton père, ça lui fera plaisir, de la part de Guettaf, le gardien ! » Quand on connaît la valeur de cette denrée, ce don représentait certainement pour lui et sa famille, un réel sacrifice.  Lors de mes absences, en particulier pour rendre visite à mes collègues français également en poste, Jean-Charles Torre à Aït-Aïcha, Vallein et Rajade à Ifigha, Daniel Vanamandel à Cheurfa, Eugène Montay et Jean-Pierre Fernandez à Azazga ou Xavier Delcouderc aux Aghribs, comme à chacun de mes déplacements, il est volontaire pour assurer la surveillance de mon logement.  D’ailleurs, il n’aurait pas fallu que je m’adresse à quelqu’un d’autre : seul Mohand Arab était qualifié pour assurer cette fonction !...

Je rencontre assez régulièrement Amroun Tahar, souvent accompagné par Habbas Arezki. Celui-ci, comme à chaque fois, m’invite à lui rendre visite dans son bar à Marseille. Je vois Amroun Tahar à double titre : comme président de la délégation spéciale de la commune et comme parent d’élèves. En effet, deux de ses jeunes enfants Ali et Lounès, sont scolarisés à l’école.  En mai 1963, je sens mon interlocuteur un peu las, parfois lointain. Il me semble avoir moins d’enthousiasme que par le passé, désireux d’être libéré de cette fonction le plus rapidement possible. « Cette charge est écrasante, usante. Lors de différends, il faut intervenir, prendre position, trancher. Ce n’est pas toujours facile car bien entendu il y a des mécontents. … » me confiera-t-il à plusieurs reprises.

Je retrouve aussi R. L. qui est toujours employé à la Mairie. Mais un jour, je crois que c’était fin novembre 1962, le gardien Guettaf me dit au moment où je regagne mon domicile :

« Tu sais les Moudjahidines ont arrêté R. ; il est en prison… ».

Effectivement, un peu plus tard, j’apprendrai qu’il est maintenu au centre pénitentiaire de Berrouaghia, près d’Alger. Il y sera détenu durant plusieurs mois avant d’être finalement libéré ; mais je n’aurai plus l’occasion de le revoir.

L’année scolaire 62-63, la première après l’indépendance, s’achève paisiblement. Grâce aux efforts de tous et la bonne volonté de chacun, nous commençons à rattraper les retards accumulés depuis des mois. J’encourage même les élèves, du moins les plus motivés, à venir travailler le jeudi matin quand je suis disponible et qu’il n’y a pas de réunions pédagogiques.  C’est avec le sentiment d’avoir accompli une tâche exaltante, que j’embarque pour la France en ce début de juillet 1963.

Je mets à profit cette période de détente pour répondre aux questions posées par les amis et les parents qui s’interrogent sur l’Algérie indépendante. J’envoie du courrier à mes élèves. J’avais, en effet déjà remarqué à Houra que ceux-ci étaient fiers et heureux de recevoir du courrier « du maître ». Ces derniers me demandent « si je reviens bientôt ». Ils souhaitent en outre recevoir des vues de l’Auvergne et de Volvic.

VOLVIC_fontaine.jpg

Fontaine à Volvic

 

Je corresponds aussi avec Amroun Tahar. Dans une longue lettre, datée du 6 août 1963, après s’être excusé pour le retard mis à me répondre, il me dit : « Quant à la question de votre retour éventuel, je vous conseille de revenir. Vous trouverez toujours le même accueil qu’auparavant… » avant d’ajouter « j’ai à vous dire que je ne suis plus le Président de la Délégation de Bouzeguene. Il y a eu un regroupement des quatre communes et c’est le représentant d’Aït Ikhlef qui a maintenant cette charge»… Puis, dans une nouvelle lettre datée du 15 août 1963, il me confirme avoir démissionné de ses fonctions ce qui va maintenant lui permettre de « prendre un peu de repos avant de rentrer à la sous-préfecture d’Azazga après les vacances.. » sans oublier de mentionner une nouvelle fois « quant à vous, tâchez de revenir, vous connaissez déjà le coin. Guettaf est toujours gardien. Lounès et Ali qui me demandent "toujours après vous"  vont vous écrire dans le courant de la semaine... ».

 

Jean-Louis SAHUT

Volvic juillet 2 007

 

Extraite de : Un jeune enseignant français en Grande Kabylie (1958 - 1973)


Source Miages-Djebels


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