Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/07/2010

Émigré dans mon pays (François LEFORT) 2

 

 (suite)

Si ces expulsions appartiennent actuellement, heureusement, au domaine de l'histoire, il y a un chiffre qui me parait cependant toujours significatif : 82 %  des jeunes expulsés que je recevais chez moi, repartaient clandestinement en France, et beaucoup de ceux qui restaient y pensaient. Ceci m'a toujours surpris.

Pourquoi ces jeunes ne réalisaient-ils pas que leur vie en France n'avait été qu'une succession d'échecs, alors que l'Algérie leur proposait de refaire leur vie ? Car il y a de l'avenir dans ce pays qui se développe ; et il est possible d'y trouver du travail. Ces jeunes auraient pu se dire que dans une situation de crise, leur avenir, en France, était de toute façon bouché. ils auraient pu se dire qu'enfin on leur proposait une vie sans racisme, sans brimade, sans violences policières... que sais-je ? Les arguments étaient nombreux, et je les ai développés souvent, mais en vain. J'avais beau leur trouver du travail, un logement, des amis ; très vite, ils repartaient clandestinement en France, grâce à de faux papiers, «grillant» le bateau (voyage clandestin), utilisant parfois des filières plus ou moins dangereuses, certains ne sont jamais revenus. Marie Roumi dans ses mémoires écrits sous le titre : Un nom de papier, raconte très bien cette société secrète de « Boat-People » clandestins que constituaient ces jeunes expulsés.

Lorsqu'ils étaient repris par la police française, ces jeunes, après avoir fait six mois de prison, étaient de nouveau expulsés vers Alger, je n'en ai jamais connu qui ait pensé un seul instant s'établir en Algérie. Ils repartaient toujours.

Un haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur français au­quel je rapportais ces faits me disait : « L'Algérie est donc un enfer ? » Et je ne pouvais que lui répondre que personnellement je m'y plaisais beaucoup. Mais tout cela m'interrogeait, et j'ai donc cherché à approfondir ce problème auprès des immigrés que je rencontrais à Alger.

Je voudrais signaler un détail particulièrement frappant : dans ma vie, j'ai malheureusement eu souvent à subir des discours racistes. asti-algériens ; niais jamais je n'en ai entendu d'aussi violents que ceux de jeunes expulsés parlant de leur pays et de leurs compatriotes, jamais ! Ces jeunes avaient très bien assimilé le discours raciste dont on leur rebat les oreilles depuis leur plus tendre enfance. Je les ai entendus avoir des propos racistes dans les rues d'Alger, parlant de « bicots », de « ratons », de « melons ». En l'espace de quelques heures, la victime était devenue agresseur. Je me souviens d'un expulsé de La Tallaudière qui ne disait pas les Algériens niais les « singes » ! Je me souviens d'un immigré ayant fait plusieurs années d'études supérieures, et qui refusait de parler à des nationaux...

Si les expulsés ne restent pas, il est symptomatique également de voir que les autres : les étudiants, les techniciens, les jeunes mariés, eux aussi dès qu'ils le peuvent, retournent en France.

Paradoxalement, ce sont souvent les jeunes qui sont venus accomplir leur service militaire qui repartent vers la France les plus satisfaits de leur expérience. Les conditions ont été difficiles mais elles ont été partagée avec les nationaux.

J'avais donc envie d'explorer la question de l'échec du retour des émigrés de la seconde génération. Or il se trouve qu'à Vaucresson, Monique Néry avait le même projet …

 

François LEFORT ( en 1982 )

 

François LEFORT et Monique NÉRY

Émigré dans mon pays

 

CIEM, L’Harmattan,

Paris, 1985

 

Les commentaires sont fermés.