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12/06/2010

L’amorce de la Coopération franco-algérienne (Maurice FLORY) 1

 

Destinés d’abord à régler les trois étapes qui conduisent à l’indépendance, les Accords d’Evian posent aussi les grands principes de la future coopération entre les deux Etats. On y trouve des dispositions de deux sortes : les unes s’apparentent étroitement aux accords classiques de coopération technique et plus précisément aux conventions signées entre la France d’une part, le Maroc ou la Tunisie d’autre part ; les autres, qui constituent l’élément original de ces accords, définissent le statut des Européens.  Les accords d’Evian reposent en effet sur une hypothèse, celle de la réconciliation franco-algérienne à partir de ce qui fait la difficulté majeure du problème, la population de souche européenne. Si les Français avaient été moins nombreux et plus récemment implantés, ils se seraient sans doute vu proposer le statut d’étranger comme au Maroc et en Tunisie. Dès 1954, le F.L.N. déclarait : « Tous les Français désirant rester en Algérie auront le choix entre leur nationalité d’origine et seront, de ce fait, considérés comme étrangers vis-à-vis des lois en vigueur, ou opteront pour la nationalité algérienne et, dans ce cas, seront considérés comme tels en droits et en devoirs. »  Evian vient confirmer cette possibilité d’option : les Européens se voient offrir avec un délai de réflexion de trois ans, le choix entre deux statuts, dont celui de l’intégration dans la nation algérienne. Ce qu’escomptait le G.P.R.A., il est d’autant plus difficile de le dire que l’équipe gouvernementale actuelle est complètement renouvelée. En revanche il semble possible de définir le double espoir sur lequel repose la position française : les dirigeants algériens acceptent d’accueillir au sein de la nouvelle nation les Européens fixés en Algérie et de coopérer avec la France ; de leur côté, les Français d’Algérie se laisseront convaincre par les nouvelles autorités algériennes qu’ils peuvent conserver dans ce pays une place convenable.  On espère ainsi que l’intégration de nombreux Français dans la nation algérienne renforcera les liens entre la France et l’Algérie et facilitera la coopération technique entre les deux pays.

 

 

L’originalité d’Evian est donc de reposer sur une hypothèse optimiste concernant les Européens d’Algérie : on cherche à leur donner la possibilité d’échapper à la logique normale de la décolonisation en s’intégrant à la nouvelle nation algérienne. Or à la fin de l’année 1962, quelques mois après les accords d’Evian, il ne reste plus que 150 000 Français en Algérie, moins qu’au Maroc après sept ans d’indépendance.

 

 

Comment expliquer cette fuite ? Ceux qui ont vécu dans la hantise du F.L.N. jusqu’au cessez-le-feu ont peine à admettre une négociation où triomphent maintes thèses du G.P.R.A. et supportent mal de se placer loyalement sous l’autorité de l’organisation si âprement combattue la veille. Par ailleurs, jouant la politique du pire, l’O.A.S. ruine autant qu’elle le peut, jusqu’au référendum, les chances d’une intégration à la nation algérienne.  Passés la période transitoire et le référendum d’autodétermination, la situation ne s’est pas éclaircie pour autant. La carence gouvernementale a prolongé l’insécurité et l’absence de garanties. Au moment psychologique où les Européens avaient le plus besoin d’être rassurés, exactions, enlèvements, spoliations se succèdent sans recours possible.

 

 

L’attrait d’avantages matériels aurait pu aider cette difficile reconversion.  Mais l’affirmation de l’unité du peuple algérien interdisait tout privilège et toute garantie organique. L’Algérie aux Algériens et à tous les Algériens quelle que soit leur origine affirme une stricte égalité entre tous, mais ne présente aucun attrait pour les Européens et ne les incite pas particulièrement à devenir membre d’une nation dans laquelle ils constitueront une minorité sociologiquement en marge de la communauté musulmane. Beaucoup d’Européens ont au contraire tout intérêt à rester Français et à exercer leur fonction en Algérie au titre de l’assistance technique, ce qui leur assure des avantages infiniment plus sérieux. Outre les considérations politiques, le marasme économique dans lequel entre l’Algérie contraste avec la prospérité que connaît la France et plus généralement l’Europe des Six ; la richesse sera plus attirante que la misère. Le niveau de vie des Européens pose d’ailleurs de délicats problèmes. Les étrangers qui vivent en Algérie, ceux notamment qui y serviront au titre de l’assistance technique auront naturellement des conditions de vie comparables à celles de leur pays d’origine nettement supérieure à celles de l’Algérie. Ce qui est normal dans ce cas risque de ne plus être considéré comme tel lorsqu’il s’agit de Français devenus Algériens. On cherchera à réduire le déséquilibre qui existe entre deux catégories d’Algériens par des mesures qui entraîneront vraisemblablement un alignement sur le niveau inférieur. Le déséquilibre apparaîtra alors entre deux catégories de Français, les uns servant sous le régime de l’assistance technique avec un standing confortable, les autres devenus Algériens se trouvant alignés sur les traitements en vigueur dans le pays. La réduction irréversible de l’implantation française en Algérie transforme fondamentalement les conditions d’une coopération qui dès lors éprouve de grandes difficultés à se mettre en place dans un cadre inadapté.  Les garanties prévues pour une importante minorité paraissent moins nécessaires pour une population qui ne se distingue plus guère de celle qui existe dans les autres pays du Maghreb. Ce qui ne dépendait que des Français, telle l’Association de sauvegarde prévue dans le chapitre III de la déclaration des garanties fonctionne ; la Cour des garanties tarde en revanche à se constituer.

 

 

 

Flory Maurice - Mantran Robert_Les Régimes Politiques Des Pays Arabes_1968.jpgMaurice FLORY

 

CHRONIQUE DIPLOMATIQUE

 

Fin 1962

 

 

Pages 422-425

 

 

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