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30/12/2009

Lettre de Gilles C. "fils de coopérant"

 

Bonjour Monsieur,

 

Un simple bonjour d’un Français expatrié aux États-Unis, perdu vers les Rocheuses.

 

Je suis (enfin j’étais) français. Je vis aux Etats-Unis depuis 20 ans, où je suis maintenant traducteur. Je ne suis pas algérien, ni kabyle, ni arabe, ni musulman, ni juif, ni pied-noir, (même si je suis un peu "oriental" dans mon genre par ma grand-mère, la France étant une terre de brassage depuis longtemps) simplement quelqu’un pour qui l’Algérie est souvent dans ses pensées, et souvent avec tristesse, en constatant ce que peut faire l’histoire à un pays.

 

Pour la petite histoire, mon père était officier de l’armée française, et a participé à la guerre d’Algérie de 1956 à 1960. J’étais petit à l’époque et ma famille vivait à Hussein Dey. Mes frères allaient au pensionnat des Frères à El Biar. Mon père était gaulliste. Il a été muté avant la phase finale des "événements". Le gaullisme m’est passé depuis.

 

En 1970, mon père, à sa retraite, avait accepté un job d’encadrement aux Entreprises Maschat à Constantine. Les autorités algériennes savaient qui il était (capitaine à l’époque de la guerre) mais ce n’était pas un problème pour eux. J’avais 15 ans et passai une année au Lycée Victor Hugo de Constantine. Nous rentrâmes plus tôt que prévu pour des raisons financières. Mais bien sûr cela m’avait marqué. Par la suite, ici aux USA, j’ai écrit un pensum sur la littérature algérienne contemporaine que bien sûr quasiment personne n’a lu.

 

Bref, pourquoi Tamazgha est-il (est-elle ?) présente dans mes pensées ? Pour les visages, les souvenirs, la musique (Aït Menguellat, Lounès Matoub, Idir, etc), et aussi et surtout pour la tristesse de voir combien votre peuple s’en prend toujours plein la gueule, et les Français ont bien sûr participé à ce traitement inique, d’une façon qui me fait honte en rétrospective, à bien des égards.

 

Et puis les difficultés de l’intégration en France, avec tout cet enchaînement de politiques qui ont mené à ces situations de haine et d’incompréhensions et à toutes ces violences passées et peut-être à venir. Beaucoup de Français n’ont jamais entendu parler des héros berbères, de Kateb Yacine, d’Abane Ramdane ; ils ont oublié tous ces soldats qui ont combattu pour la France dans les guerres mondiales et que l’on jeta en prison quand ils revendiquèrent leur dignité.

 

Ils ne savent même pas pour la plupart sans doute que les Bugeaud et consorts ont entrepris d’arabiser les Kabyles, même par leurs noms. Et puis le rouleau compresseur arabo-islamiste s’est installé en Algérie, depuis longtemps, et tous ces gens liquidés, assassinés, parce qu’ils voulaient créer quelque chose d’autre, et remplacés par tous ces profiteurs faisant plus ou moins allégeances aux rois du pétrole qui envoient en Europe leur prêcheurs salafistes et leur pognon pour construire des mosquées tout en sirotant des scotchs aux bras de putes à Marbella.

 

Comme disait Lou Reed je crois, "It takes a busload of faith to get by", dans ce monde pourri.

 

Enfin, c’est tout. Je pourrais en écrire beaucoup encore, mais vous avez une idée. Je souhaiterais, avant la fin, visiter la Kabylie libre, autonome ou juste un peu plus « respirable », selon les possibilités, et ces villages perchés, symbole de l’empreinte millénaire d’une civilisation unique, et manger quelques olives à l’ombre avec un coup de raki ou autre chose en bavardant avec les vieux. Je souhaiterais que Français et Algériens puissent dépasser les ornières et les œillères de l’histoire, et simplement coopérer dans l’amitié. J’en souhaite beaucoup...

 

Bonne chance dans toutes vos entreprises.

 

Gilles C.* le 1er décembre 2009

 

Lettre envoyée à kabyles.net

CONSTANTINE_Ex-Lycée-Victor-Hugo_2006.jpg
L'ex-lycée Victor Hugo de Constantine en 2006

 

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