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25/11/2009

SE PLAINDRE, ALGÉRIE (André CORTEN) extrait 3

 

Quand on sort d'Oran, qu'on longe la corniche et le port de Mers el-Kébir, on arrive aux plages – les femmes s'y baignent tout habillées. On peut aussi se rendre à Tlemcen et sa mosquée du XIIIème siècle. De couleur ocre, le sanctuaire garde dans ses ruines la lumière des oliviers. On peut aussi emprunter la route de l'Algérie en modernisation. La ville d'Arzew, port gazier et pétrolier, est mangée par l'immense zone industrielle et par les HLM en construction. À perte de vue, une forêt de tuyauteries cyclopéennes ! Grâce aux explications fournies par le journal El-Moudjahid, je distingue dans ce débordement de métal et de fumée les grandes composantes du site : les trois complexes de GNL (gaz naturel liquéfié), les deux complexes de séparation du GPL (gaz de pétrole liquéfié) ainsi que la raffinerie et le combinat pétrochimique de méthanol et de résine. Dans cet alignement de réservoirs et d'installations de liquéfaction, de raffinage et de transformation, l'Algérie se profile déjà comme le grand exportateur mondial de gaz, desservant l'Europe et les États-Unis. Arzew est devenu un des plus grands ports méthaniers du monde. Sur l'ancienne route nationale 4, les usines manufacturières sortent de terre. L'Algérie est un immense chantier de l'« industrie industrialisante »*

 

Tel s'exprime l'imaginaire de l'Algérie socialiste : construire des usines, rassembler les travailleurs récemment arrachés à leurs champs, les mettre en contact avec les machines. Le travailleur stakhanoviste va sortir tout cuirassé de la rencontre entre machines et bras ! Machines encore importées, mais que l'industrie industria­lisante va bientôt dessiner et fabriquer sur place, bras encore noués au labeur de la terre et qu'on croit pouvoir fixer du jour au lendemain en prolongement des pistons et des cylindres. À défaut d'avoir pensé aux nouveaux rapports sociaux, l'espace est prévu pour le travail, les hangars sont pimpants. Pour l'après-travail, c'est moins certain. Le parti FLN** ne laisse néanmoins pas les bidonvilles ronger l'accès aux boulevards. Les travailleurs doivent se loger là où on a prévu de les placer. Mal prévu. Résultat, ils sont cinq par chambre.

 

Une nouvelle fois, peut-on dire qu'on souffre ? Tout s'est passé tellement vite. On manque de tout, mais avec la « révolution agraire », on s'est convaincu que l'avenir n'est plus dans les campagnes. On arrache les vignes... L'Algérie qui vivait naguère selon les usages du nomadisme vit désormais selon les usages du convoi de personnes déplacées. Beaucoup d'hommes célibataires, les femmes sont restées derrière. Ce n'est pas l'émigration en France, où la coupure est plus radicale en même temps que plus chargée d'imaginaire. Même si rapidement vient se coller à la peau l'étoile du paria. Pour le migrant de l'intérieur, vient s'infiltrer dans l'odeur des vêtements humides la sensation d'un exil chez soi.

 

* L'expression a été popularisée, à partir de 1966, par l'économiste français, Gérard Destanne de Bernis, un des conseillers les plus écoutés des planificateurs algériens.

 

** Front de libération nationale, fondé en 1954 (NdE).

 

 

 

Planète Misère (André CORTEN)

 

 

ARZEW_liquéfaction et stockage du gaz.jpg
Arzezw

20/11/2009

SE PLAINDRE, ALGÉRIE (André CORTEN) extrait 2


Entassement dans des logis suffocants, terreur de l'enfermement, étiolement de l'âme. Ville asphyxiée dans ses hautes bâtisses d'inspiration haussmanienne. En 1941-1942, au moment de l'épidémie de typhoïde, Oran comptait deux cent mille habitants. Aux pieds-noirs, souvent séfarades et d'origine espagnole, s'ajoutait déjà une population algérienne nombreuse. En 1962, rares sont les Européens qui résistent au vent de panique : quelques religieuses, quelques commerçants. En 1975, Oran, devenue Wahran, compte désormais six cent mille habitants, pour le même bâti, à peu de chose près. Au-delà de l'odeur de la macération des corps, la pénurie des logements est visible dans l'envahissement des rues. Invasion des cafés où l'on sirote un thé ou une « gazouse* », jusqu'aux murs où s'adossent les bandes de jeunes hommes désœuvrés. À la fin des années 1970, on ne se presse pas encore dans les mosquées. Mais déjà des jeunes filles non voilées sont vitriolées à la cité universitaire. Viendront d'autres sauvageries.

La pénurie ne se limite pas aux logements. Dans les magasins d'État s'alignent des bidons d'huile de cuisine au goût de moteur, des conserves rouillées, toutes identiques, symbole de l'austérité « socialiste ». Les arrivages subits provoquent des queues interminables. Les ruptures de stock sont constantes. Les étals du marché sont maigres : légumes rabougris, amoncellements toujours identiques de pastèques et de melons d'eau, prix inaccessible de l'agneau. Les petites échoppes n'ont que quelques produits : du lait, des pois chiches, des allumettes...

Souffre-t-on de ces pénuries ? A l'aéroport, les passagers arrivent de Marseille ou de Paris encombrés de volumineux colis : coupons d'étoffe, jeans de marque, électroménager. Filières interstitielles à un commerce d'État prêchant l'austérité. Cette sévérité n'est pas encore vraiment étrillée car elle est le reflet d'une consommation très frugale par nécessité. Les centaines de milliers de nouveaux urbains comptent leurs emplettes aux centimes de dinars. Les sociétés d'État ont créé beaucoup d'emplois, mais le salaire condamne encore au dénuement. Le couscous est aux légumes, et la harissa cale les estomacs malmenés. On garde les burnous rêches des campagnes. Sous la pluie d'hiver, les vêtements superposés s'alourdissent d'un séchage impossible.

*Limonade.


Planète Misère (André CORTEN)

ORAN_Rue des Aurès.jpg
Rue des Aurès à Oran

13/11/2009

SE PLAINDRE, ALGÉRIE (André CORTEN) extrait 1

C'était il y a longtemps déjà. Au temps de l'Algérie du milieu des années 1970, du socialisme à la Boumediene. Mon premier contact concret avec ce pays se fait avec l'obtention d'un poste de maître de conférences à l'université d'Oran. Un quatre pièces dans une HLM. Je suis là avec des coopérants français, mais également égyptiens ou syriens. Quelques collègues algériens aussi. En mémoire de Le Corbusier, le gros bloc d'une centaine d'appartements est nommé « Cité radieuse ». On est loin de l'inspiration mozabite et de l'âpreté du désert. Il y a des années que les ascenseurs ne fonctionnent plus, les escaliers et les couloirs sentent l'urine. Le vent déplace des papiers sales sur un terre-plein en friche. En face, un quartier de classes moyennes – on y construit quelques villas. Des favoris du régime ou des hommes du bazar ? Peut-être les deux à la fois. En général, les logements sont modestes. Dans le bus, odeur surie de seins abondants et de corps mal lavés. Les pudeurs sont mal gérées dans le surpeuplement des logements. En moyenne, trois personnes dans la même pièce.

 

Fondée au Xème siècle, espagnole à partir du XVIème siècle, Oran est devenue française en 1831. C'est une ville couturée de cicatrices. Aujourd'hui encore, pour le vieil Oranais coincé dans une habitation exiguë et délabrée, le souvenir du séisme de 1790 persiste comme un millénarisme. Les nuits de ramadan, on veille ; on raconte l'histoire d'un nouveau cataclysme inévitable. Dans l'imaginaire francophone, Oran est la ville de la peste. On est face à la mort en attente : sensation d'enfermement, d'étouffement, d'exil, d'« exil chez soi ». Que la population algérienne occupe les appartements français, les tours les plus récentes ou les gourbis de banlieue, elle ressent partout l'exil chez soi. Sentiment partagé par les jeunes. jeunes hommes d'un côté, jeunes filles de l'autre. Avenir vide, présent vide, ennui. Pour les filles, enfermement. Pour tous, vacuité nettoyée par la lumière éclatante du soleil. Vacuité renvoyée cruellement à la face de chacun. Seule plénitude : la mer, les vignobles, la douceur des champs de blé dur. Ils narguent la souffrance au quotidien.

 

Planète Misère (André CORTEN)

 

 

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Est-ce la "Cité Radieuse" ?

06/11/2009

Coopérant à Ghardaïa, Benoit BLIN témoigne

 

Benoît Blin, en coopération dans le diocèse de Ghardaïa, est revenu quelques temps dans le diocèse (d’Arras) en février. Voici quelques lignes de témoignage :

 

 

 

"Le diocèse de Ghardaïa couvre sur 2 millions de km² le Sahara algérien. Dans un monde complètement marqué par un Islam très traditionnel, quelques communautés de religieux / religieuses sont éparpillées dans une dizaine d'oasis. On y partage le quotidien de la population tout en essayant de prendre part au développement socioculturel du pays : condition féminine, aide aux handicapés, soutien scolaire, bibliothèques, ... sont quelques-uns de nos champs d'action. Bien que numériquement infime (à Ghardaïa, nous sommes 12 chrétiens pour 120000 habitants), la communauté chrétienne cherche à promouvoir le respect entre nos religions et à être une passerelle entre nos sociétés dans un contexte mondial tendu et marqué par une profonde méconnaissance de l'autre.

 

 

Volontaire de la DCC depuis Janvier 2006, je participe à la gestion du Centre Culturel et de Documentation Saharienne de Ghardaïa, tenu par une communauté de Pères Blancs. Je m'occupe plus particulièrement de la mise en place à partir de nombreuses archives, d'une bibliothèque spécialisée sur le Sahara, son histoire, sa géographie, ses traditions, ... destinée à aider la société saharienne à réfléchir sur sa culture et son histoire."

 

 

 

Benoit Blin

 

Lien CEF-Arras

 

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01/11/2009

Pierre BIZET, nouveau curé du pays de Marquise

Veuf, père, grand-père et prêtre

Pierre Bizet a pris rapidement ses marques sur le littoral.

D'Aire-sur-la-Lys à Marquise, en passant par Ryad et Kinshasa, l'itinéraire familial, professionnel et spirituel de Pierre Bizet, curé de la terre des deux Caps, a connu de nombreuses et d'étonnantes étapes

On a coutume de dire que les voies du Seigneur sont impénétrables. Le parcours de Pierre Bizet, nommé il y a quelques mois curé des paroisses de la terre des deux Caps, en est une illustration toute particulière.

À son arrivée en septembre sur le littoral, l'abbé Bizet a pris un peu de temps pour découvrir l'étendue de son nouveau domaine. Régler le problème de la véranda du presbytère qui fuit et le gros devis qui en découle. Déballer ses cartons et d'expliquer qui il est. Car le nouveau curé de Marquise a un parcours pour le moins atypique.

Pierre Bizet n'est pas dépaysé sur la Côte d'Opale puisqu'il est originaire de la région d'Aire-sur-la-Lys. Le littoral, il le connaissait déjà : « Ma côte préférée, c'était plutôt Berck ou le Touquet, j'y allais une ou deux fois par ans avec mes parents quand j'étais enfant », avoue-t-il. Pierre Bizet fait ses études secondaires à Arras puis s'oriente vers l'Edhec où il décroche une licence en sciences économiques. Le même chemin l'emmène à Paris. Il empoche un DES en sciences économiques en 1967 : « J''y tiens, en 68, on donnait le diplôme à tout le monde », souligne-t-il en souriant.


« L'ENA de l'Église »

 La fibre religieuse le travaille déjà un peu : « J'avais la vocation. J'ai hésité entre l'Ena et le séminaire de la Catho, à Paris. Finalement, j'ai choisi "l'Ena de l'Église ", j'ai débuté une licence de théologie. » Un temps, le sabre prend le pas sur le goupillon avec l'incontournable passage sous les drapeaux à Berlin puis Coëtquidan. C'est là qu'il se pose la question de son engagement dans l'Église.

Pierre Bizet quitte le séminaire en 1972. C'est aussi l'année où il épouse Annie.

Le passage du jeune homme dans la coopération en Algérie, comme assistant à la fac d'Alger, puis à l'Ena de la même ville lui donne le goût de l'étranger.

 

 

 

Pierre Bizet est recruté dans le dispositif du commerce extérieur : « J'avais un statut de diplomate, tout en dépendant de Branly, puis de Bercy. » Il est tour à tour a attaché puis conseiller commercial. Sa mission : aider les entreprises françaises à s'implanter.
Le Nordiste parcourt une partie du globe, avec des intermèdes hexagonaux : l'Algérie, le Maroc, l'ex-Tchécoslovaquie, la République démocratique du Congo. En 1991, les problèmes de santé rencontrés par son épouse le font revenir en Europe : il prend le poste de directeur régional adjoint à Lille jusque 1993. Quand le quatrième des enfants du couple est en âge d'être étudiant, il accepte un poste en Arabie Saoudite. Annie, son épouse, décède le 5 novembre 1997. « Je suis resté à Ryad pendant deux ans, de 1997 à 1999. Puis je suis parti à Bruxelles, à l'ambassade de France. Coup de bol, j'étais à 1 h 30 de chez moi, dans la métropole lilloise. » La religion rattrape Pierre Bizet courant 2000 : un ami, vicaire épiscopal, connaît son engagement et lui propose de reprendre le chemin de l'Église.

 
: « Je suis allé voir l'évêque d'Arras qui m'a conseillé de terminer mon poste. Il ne s'est pas précipité. » Pierre Bizet a pourtant déjà eu le temps de mûrir sa décision : « Ma vocation est basée sur un malheur, je n'accepte toujours pas l'idée d'être veuf. C'est sûr, la question ne se serait pas posée si mon épouse était toujours là. L'idée m'est venue à Ryad. ». Le Nordiste résidait alors dans le quartier diplomatique : « La religion catholique y était interdite, on faisait des eucharisties en cachette dans le salon de mon appartement avec d'autres catholiques. J'ai même accueilli un baptême chez moi, avec un aumônier irlandais. Il y avait des risques. » Le futur homme d'église se prépare à son rythme : « A 61 ans, j'ai repris le chemin de l'école. J'avais des bonnes notes, on m'a dit que j'ai une très bonne synthèse. C'est drôle parce que c'est ce que j'ai fait ça pendant des années pour mon travail. » Il suit des cours du soir chez les jésuites à Bruxelles, de la théologie, pendant trois ans. « Le week-end, je participais à des réunions avec de jeunes étudiants qui envisageaient la prêtrise, au grand séminaire de Lille. La moyenne d'âge était de 28 ans. Il faut tout quitter pour entrer au séminaire, ça n'est pas facile pour des jeunes. »

 
Jean-François DUQUENE


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Alger ENA Promotion 1973-77