13/11/2009
SE PLAINDRE, ALGÉRIE (André CORTEN) extrait 1
C'était il y a longtemps déjà. Au temps de l'Algérie du milieu des années 1970, du socialisme à la Boumediene. Mon premier contact concret avec ce pays se fait avec l'obtention d'un poste de maître de conférences à l'université d'Oran. Un quatre pièces dans une HLM. Je suis là avec des coopérants français, mais également égyptiens ou syriens. Quelques collègues algériens aussi. En mémoire de Le Corbusier, le gros bloc d'une centaine d'appartements est nommé « Cité radieuse ». On est loin de l'inspiration mozabite et de l'âpreté du désert. Il y a des années que les ascenseurs ne fonctionnent plus, les escaliers et les couloirs sentent l'urine. Le vent déplace des papiers sales sur un terre-plein en friche. En face, un quartier de classes moyennes – on y construit quelques villas. Des favoris du régime ou des hommes du bazar ? Peut-être les deux à la fois. En général, les logements sont modestes. Dans le bus, odeur surie de seins abondants et de corps mal lavés. Les pudeurs sont mal gérées dans le surpeuplement des logements. En moyenne, trois personnes dans la même pièce.
Fondée au Xème siècle, espagnole à partir du XVIème siècle, Oran est devenue française en 1831. C'est une ville couturée de cicatrices. Aujourd'hui encore, pour le vieil Oranais coincé dans une habitation exiguë et délabrée, le souvenir du séisme de 1790 persiste comme un millénarisme. Les nuits de ramadan, on veille ; on raconte l'histoire d'un nouveau cataclysme inévitable. Dans l'imaginaire francophone, Oran est la ville de la peste. On est face à la mort en attente : sensation d'enfermement, d'étouffement, d'exil, d'« exil chez soi ». Que la population algérienne occupe les appartements français, les tours les plus récentes ou les gourbis de banlieue, elle ressent partout l'exil chez soi. Sentiment partagé par les jeunes. jeunes hommes d'un côté, jeunes filles de l'autre. Avenir vide, présent vide, ennui. Pour les filles, enfermement. Pour tous, vacuité nettoyée par la lumière éclatante du soleil. Vacuité renvoyée cruellement à la face de chacun. Seule plénitude : la mer, les vignobles, la douceur des champs de blé dur. Ils narguent la souffrance au quotidien.
Planète Misère (André CORTEN)
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