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14/09/2008

La liberté chez Philippe RAULET

Philippe RAULET nous a quittés brutalement en 2006.

À l’occasion d’un hommage qui lui fut rendu à La Roche-sur-Yon, au Grand R le 19 janvier 2008, Dominique Bondu nous a fait l’honneur et l’amitié de nous offrir ces mots pour se souvenir.

 

La liberté chez Philippe Raulet

 

Philippe Raulet a assumé toute sa vie la liberté qu’il avait décidé de se donner. Sans concessions. Il a compris très tôt, je crois, cette vérité sans fard, avec laquelle il n’est pas possible de tricher durablement : loin de se définir comme un droit que l’on peut revendiquer, la liberté est avant tout une condamnation faite à l’homme, à la fois nécessaire et sans recours possible. Pour qui veut se conduire dignement, il n’est pas possible d’y échapper. Cette leçon sartrienne, si mal comprise, Philippe en avait pris acte. Elle aura déterminé sa conduite d’homme et d’écrivain, ces deux aspects étant pour lui indissociablement mêlés – il a vécu comme écrivain, à la vie, à la mort.


 Ainsi, ce fils de commerçants (ses parents étaient boulangers-pâtissiers-biscottiers) et petit-fils d’agriculteurs va commencer par faire des études de droit. Comme il était d’usage en effet chez la petite bourgeoisie provinciale, il fallait que le fils de la famille fût médecin ou, tout au moins, juriste. Ce déterminisme social, amorcé depuis la moitié du 19e siècle, aura ainsi marqué le destin de Gustave Flaubert : son père, Achille-Cléophas, médecin puis chirurgien à l’hôpital de Rouen voulait à tout prix que Gustave fasse du droit, à défaut de médecine. Et c’est sur le chemin de Rouen pour l’inscription à la Faculté de Droit, que Gustave fait une grave crise qui amènera son père à renoncer à toute ambition sociale pour son fils, ce dernier retrouvant ainsi une pleine liberté de détermination. Il y a en quelque sorte du Flaubert chez Philippe Raulet. Socialement déterminé pour être juriste, Philippe va passer sans passion sa licence de droit ; ensuite, il occupe un emploi durant trois années à la Bourse de Paris. Mais ceci est l’apparence sociale. « Gustave » Raulet se prépare à assumer sa liberté ; et il met ensuite fin à toute carrière professionnelle. Il décide de choisir la coopération en Algérie, ce qui lui permet de découvrir l’ailleurs ;  libéré de ses obligations, il en profite pour voyager et fait le grand tour de la Méditerranée. De retour à Paris, il s’engage résolument dans l’écriture – la création littéraire : c’est à cette nécessité existentielle qu’il consent librement, en se dégageant de toutes autres contraintes.


 À 26 ans, Philippe Raulet publie chez Gallimard, dans la prestigieuse collection « blanche » Napoléon V, un premier roman très remarqué. Le voilà promu jeune écrivain talentueux et prometteur. Il se trouve intronisé dans la scène littéraire parisienne – ce qui lui permettra de rencontrer Samuel Beckett.


 Mais Philippe Raulet comprend très vite que les honneurs de la vie parisienne qu’on lui offre constituent un piège aliénant, qu’il va y perdre sa liberté et donc se perdre… Cette incroyable lucidité est véritablement étonnante de la part d’un jeune homme promis à tous les honneurs de la vie littéraire parisienne – nous sommes en 1966, la vie littéraire bat son plein, elle est encore auréolée d’un immense prestige social. En fait, cette lucidité du jeune écrivain situe parfaitement la hauteur de son exigence de liberté, Il prend alors la décision de fuir ce monde enivrant.


 Philippe va se retirer en Lozère, sur le causse de Sauveterre. Loin de tout, dans cette splendide immensité déserte qui tient à distance de toutes mondanités. Il va y vivre une dizaine d’années. Sur le causse, il fait l’expérience de l’indépassable beauté de la nature sauvage, de son immensité qui excède la mesure de l’homme et qui en impose à toute volonté humaine. Cette extériorité radicale, devant laquelle l’humain doit abdiquer, et qui remet l’homme à sa juste place, le rappelle à sa juste mesure, constitue pour Philippe une leçon inestimable, consistant à remettre à sa place la prétention de l’artiste, du créateur. La beauté du causse l’empêchera d’écrire, me confiait-il un jour.


 Il stoppe net toute « carrière » d’écrivain. Et presque trois décennies s’écouleront entre la parution de son premier roman en 1966 et celle du second véritable, MicMac, en 1993, chez Minuit, si l’on veut bien excepter la publication en 1987 chez Albin Michel d’un livre de commande sur Faust, un magnifique récit où il réinvente tout le mythe (Jean Faust, histoire d’un pacte, Albin Michel, 1987). Ainsi, c’est seulement en 1993 que paraît son second roman, Micmac, aux éditions de Minuit. Dans cet écart temporel considérable, ne voyons surtout pas l’illustration du syndrome bien connu du premier roman à succès, qui brise le ressort de l’auteur grisé, appelé à demeurer l’auteur d’un seul livre. Chez Philippe Raulet, la suite prouvera le contraire. Philippe est habité par l’écriture, il est porteur d’une œuvre immense qui se construira ensuite peu à peu avec une rare puissance.


 Alors, que furent ces trois décennies silencieuses ? Eh bien ! des années de liberté. Intenses. Philippe Raulet n’a jamais confondu liberté et vacance, absence de cadre, refus de toute limite. Une œuvre va mûrir dans un esprit extrêmement bien organisé. Simplement refusant toute perspective de « faire carrière » au prix de toutes les compromissions, Philippe s’abstiendra de vouloir publier tant que la nécessité ne s’imposera pas à lui. Il vivra de divers petits boulots. Son origine rurale – il aura, gamin, participé aux travaux des champs – lui aura donné une solide constitution : petit, râblé, Philippe était une force de la nature, ce qui lui permettra de faire de durs travaux manuels.

 
 Passionné par le lien entre écriture et oralité, Philippe travaillera également, durant toute cette période, avec des conteurs, des compagnies de théâtre et des radios, au gré des rencontres instauratrices.

 

Dominique BONDU

 

 

Intégralité du témoignage

 

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