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19/04/2008

Damien GELDREICH avec les sans-papiers d’Algérie

 

1706918458.jpg« Déjà presque un an que je reçois chaque jour de la semaine ces hommes et ces femmes qui ont quitté leur pays pour atteindre cette fameuse Europe ou tout du moins une terre où tout brille de mille lumières, où il paraît qu'il règne la paix, la justice et la prospérité, apanage d'une minorité d'habitants de cette planète qui ont eu un peu plus de chance que les autres de naître dans cet endroit. Et pourtant il m'a fallu tout ce temps pour sentir en moi la légitimité de réagir sur le sujet de la migration que nous, européens, jugeons clandestine et donc illégitime.

 

… je vais me limiter à la description de ma visite dans les rochers de Tamanrasset au sud de L'Algérie, de la description du quotidien de ceux qui se mettent en route pour rejoindre l'Europe. Si, pour les Européens, Tamanrasset signifie les grands espaces montagneux et désertiques, les plus beaux couchers de soleil, pour la plupart des Africains subsahariens en route vers l'Europe, Tamanrasset est un point de passage obligatoire durant la traversée du désert du Sahara ; les rochers de Tamanrasset, il s'agit de l'expression que l'on utilise pour désigner les collines rocailleuses où se réfugient ces voyageurs pourchassés par la Police. On m'avait déjà alarmé sur la misère de ces gens. Je voulais voir ce qu'il en était.

 

Vers 16h j'accompagne donc Sœur Martine, Française vivant là-bas et deux Pères, Anselm et Guy, respectivement  tanzanien et burkinabé, à la rencontre des migrants de Tamanrasset. Nous n'avons pas encore complètement quitté la ville que nous apercevons déjà ces fameux rochers parmi lesquels se dessinent quelques silhouettes humaines. Mais Martine nous invite à continuer. Nous suivons l'oued, qui fait malheureusement office de décharge. Nous marchons ainsi plusieurs kilomètres parmi les tas de gravats et de détritus en tout genre, mais le chemin que nous empruntons serpente très nettement jusqu'à l'horizon parmi ce fourbi. Jusqu'à ce qu'apparaisse, s'avançant dans notre direction une première silhouette ; il nous faut quelques minutes pour arriver à sa hauteur. Nous essayons de rentrer en contact, ce qui se fait finalement assez facilement. Il s'agit d'un Nigérian. Après la présentation de chacun d'entre nous, nous entamons la discussion. Déjà 10 mois qu'il habite dans les rochers, parce qu'il n'a pas d'argent pour continuer ou rentrer chez lui. Sa veste en sky est déchirée au niveau d'une manche, ses chaussures de sports sont trouées et son jean est passé de mode depuis bien longtemps. Il se rend en ville pour acheter quelque chose à manger, à la tombée de la nuit, il se fait moins remarquer en ville. Quel est son projet ? "J'attends que ma famille m'envoie de l'argent"… Déjà 10 mois qu'il attend. Nous lui demandons notre route. Il nous invite à continuer le long de l'Oued, "là-bas nous sommes très nombreux, il y a le camp des Libériens, le camp des Nigérians et celui des Ghanéens." Nous lui souhaitons bonne chance et chacun continue sa route. 

 

Nous croisons ainsi de nombreux jeunes, les uns à Tamanrasset depuis peu de temps, certains depuis plus d'un an. Des Ghanéens nous racontent qu'ils se sont fait rouler par les passeurs qui devaient les conduire en Libye où ils sont autorisés à travailler : ils les ont abandonnés à Tamanrasset (qui n'est pas sur le chemin de la Libye d'ailleurs). Au détour d'un méandre de l'oued nous arrivons enfin près de ce qui semble être un premier campement. Nous sortons de l'oued, notre arrivée a déjà été annoncée, la communauté s'est regroupée pour nous recevoir. "Bonjour", ils nous répondent, les regards sont méfiants, nous nous présentons comme des membres de l'Eglise. Celui qui tient le rôle de chef nous questionne un peu tandis que les autres attroupés derrière lui nous déshabillent du regard. Ils parlent français, mais ne nous révèlent pas leur nationalité. Des échanges entre eux se font en dialecte, Guy le Père Burkinabé qui nous accompagne ne s'y trompe pas: il s'agit de Sénégalais.

 

La confiance s'installe très vite finalement et chacun est heureux de pouvoir raconter son histoire. Le chef nous raconte qu'il est ici depuis 3 mois, il a des amis en France qui l'ont persuadé de faire le voyage. Nous leur demandons s'ils ont des problèmes avec la Police: "Quelques fois il y a des descentes, ils viennent avec des chiens, ils ramassent tout le monde et nous emmènent jusqu'à Tinzaouaten à la frontière malienne (ces déportations se font dans des conditions très difficiles, debout dans des camions sur plusieurs centaines de kilomètres sur les pistes chaotiques et la chaleur du désert. Il y a déjà eu des accidents graves, des morts, enterrés à la va-vite au bord de la route ; c'est la hantise de tous les migrants, car ce village à la frontière est en plein désert et il n'y a presque rien. Ces gens sont lâchés là sans aucune ressource, toute nationalité confondue, il y a même eu des Pakistanais récemment) – "Certains d'entre vous on déjà été déportés ?" Plusieurs me répondent que oui, l'un déjà à deux reprises: "Là-bas c'est la mort". – Et, ici, comment vous faites pour trouver à manger ? "Quand tu vas en ville il faut faire très attention" Celui qui fait office d'Imam nous raconte que le matin même son ami a été attrapé et que lui-même a pu fuir de justesse. "Quand on va en ville, dans les boutiques, il y en a un qui reste dehors pour surveiller la rue". "Mais comment vous trouver de l'argent ? "_ "C'est très difficile, parfois on travaille, mais il faut faire très attention, on est payé 250 dinars par jour (environ 2€20, une misère même en Algérie), mais une fois sur deux le patron nous dit à la fin de la journée de dégager car il n'a pas d'argent. Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse, on est clandestin ! Alors des fois on est obligé de vendre notre passeport. On mange un petit pain par jour, c'est tout" Martine s'inquiète des possibilités de trouver de l'eau "on a creusé au pied d'un rocher où l'eau suinte". Ils nous mènent jusqu'à cet écoulement "On a dû changer d'endroit car le premier est souillé""Et vous n'êtes pas malades ?" – "Les nouveaux sont malades et couchés pendant deux ou trois jours après ça va à peu près." Nous croisons ici des Nigérians qui viennent puiser un peu d'eau. Leur camp est un peu plus loin. L'un d'eux semble très malade, mais ne le reconnaîtra que bien plus tard lors d'une discussion seul à seul avec le Père Anselm. 

 

Le ciel commence à s'assombrir, à l'horizon des nuages cachent le soleil couchant. J'ai quelques légers frissons, même si mon pull est assez épais. Je me rends alors compte que la plupart sont en T-shirt, ils n'ont même pas de veste. Je me rends compte que certains sont tremblants de froid. La plupart portent des habits crasseux et déchirés. Ils portent presque tous ces fameuses sandales en plastiques fabriqués en Asie, très bon marché mais dont la résistance est lamentable: chez certains il manque un morceau, chez d'autres elles sont rafistolées avec du scotch… Une misère comme je n'en avais jamais vu auparavant."Vous n'avez pas pensé à rentrer chez vous avec toute cette souffrance ?" – "Si, mais avec quel argent ? De toute façon on est plus loin de chez nous que de l'Europe." Lorsque nous leur annonçons qu'il reste plus de 2000 km à parcourir, ils sont surpris, mais ils ne changent pas d'avis: "Moi, j'ai une femme et trois enfants au pays, pour faire le voyage j'ai dû vendre la vache que j'avais, alors si je rentre, on sera plus pauvre qu'avant, plutôt mourir ici !" "La saison des pluies a encore été mauvaise cette année, je ne peux pas rentrer."

 

Cette dernière phrase m'a beaucoup marqué. Je crois qu'elle montre tout l'étendue de cette folie : des hommes de la terre, des petits paysans, dans le sens noble du terme, qui certainement ne sont jamais allés au-delà de la petite ville la plus proche de leur village, qui certainement ont entendu des échos d'anciens membres de leur communauté ayant réussi, il y a quelques années à atteindre l'Europe, qui ont dû voir quelques images de l'Europe à la télé, se sont lancés sur la route avec les économies de leur famille parfois de leur village sans trop savoir ce qui les attendait. Ils ont parcouru des kilomètres à travers le désert, connaissant très mal l'itinéraire à suivre, assis à plus de 20 à l'arrière d'un pick-up (il faut l'avoir vu pour le croire), pris en otage par les passeurs qui font constamment monter les prix sous menace de les abandonner dans le désert. En repartant nous croiserons deux Libériens qui nous racontent être presque devenus fous lorsqu'un des leurs s'est laissé mourir durant la traversée, trop fatigué. Tout ça pour en arriver là. Certains parleront de camps ou de bidonvilles, voire de grottes, je crois que ces termes sont bien optimistes, car je n'y ai vu ni tente ni taule ondulée ni autres matériaux que l'on a coutume d'employer pour s'abriter. Parfois quelques morceaux de plastique, au mieux une bâche déchirée et quatre bâtons. Lorsque nous sommes repartis, il faisait nuit et le froid nous faisait accélérer le pas pour rentrer. Nous avons croisé des gens jusqu'à l'entrée de la ville. Les derniers nous saluèrent avec cette phrase "Merci pour votre considération pour nous".

 

Damien GELDREICH 

 

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Voir la situation début 2008 sur le site du CCFD :

300 000 Africains bloqués en Algérie

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