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14/05/2007

L’ARAIGNEE DU PROPHETE (Guy RAU)

medium_RAU-Guy.2.jpg      « Une légende populaire et respectée dans les milieux musulmans raconte que, lors de leur exode, le prophète Mahomet et ses premiers fidèles se réfugièrent dans une grotte pour échapper à leurs ennemis.

Les fugitifs étaient à peine entrés qu’une araignée se mit à tisser sa toile sur le trou qui donnait accès à la grotte. Lorsque les poursuivants arrivèrent devant la cachette obstruée  par une toile d’araignée, ils conclurent que personne n'avait pu pénétrer dans cet endroit, puisque la toile était intacte.  Ils  passèrent donc leur chemin et le prophète ne fut plus inquiété.

L’araignée depuis lors  est considérée par l’ensemble des Musulmans comme l’amie du prophète Mahomet et des adeptes de sa religion.

Je n’imaginais pas, lorsque je quittai mon Plat Pays pour l’Algérie en 1970, que le merveilleux musulman croiserait un jour tragiquement mon chemin en terre d’Islam. Et je doute fort que l’histoire dont la narration va suivre soit vraiment naturelle...

Après un voyage chaotique, je débarquais, jeune enseignant, avec ma femme, dans une petite ville du Sud algérien, éloignée des grands centres, pour une mission de deux années.  J’avais délibérément fait ce choix, avec l’assentiment de ma jeune épouse, estimant que la  coopération au développement répondait mieux à ma vison humaniste que le service militaire.

Nous allions basculer en moins de trois heures,  des certitudes d’un monde citadin rationnel  vers les doutes que suscitaient certaines pratiques  obscures des campagnes algériennes de l’époque.

Le logement de  fonction qui fut mis à notre disposition dans une cité construite à la hâte, à l’extérieur de la ville, répondait formellement aux dispositions du contrat. Mais il se trouvait dans un état répugnant de malpropreté auquel l’avaient abandonné les locataires indélicats qui nous avaient précédés.

Pour venir à bout de ce désordre dans l’immédiat et afin de nous décharger à l’avenir de certaines tâches domestiques, nous engageâmes une bonne,  qui nous fut recommandée par des coopérants compatriotes.

C’était, dans notre esprit, une façon de contribuer à l’amélioration de l’ordinaire de la population locale et une manière de l’approcher dans ses différences et ses valeurs.

Elle s’appelait Krada, prénom à  consonance peu sympathique, à l’image de celle qui le portait. Elle avait un âge que rendait indéfinissable l’habit noir qui couvrait de la tête aux pieds un corps que l’on devinait  élancé et bien fait. Un triangle de tissu brodé cachait la moitié inférieure d’un visage d’où émergeaient, de la partie visible, deux prunelles noires, mobiles, vitreuses et inquiètes.

Ma femme l’introduisit amicalement dans notre demeure. En guise d’accueil, je lui tendis une main de bienvenue qu’elle refusa, malgré mon insistance, d’un regard réprobateur et effrayé. Mais elle consentit, sur une invitation gestuelle de mon épouse, à se découvrir. La chevelure abondante teintée au henné émergea du voile qu’elle retira sans grâce et se déroula sur un visage osseux, hâlé et tiré, marqué de  curieux tatouages géométriques. Ses deux mains encore rouges de la teinture de ses cheveux, dénouèrent la pièce de tissu qui cachait le bas de son visage, lui aussi bariolé. Nous découvrîmes derrière ses lèvres minces  qui amorçaient un sourire crispé, deux rangées  de dents  longues, inélégantes mais soignées, dont certaines en métal jaune. Elle ne parlait ni le français ni l’arabe. Seulement un dialecte berbère au son éraillé.

Par gestes et par bribes de mots, ma femme  fit découvrir à Krada le travail quelle aurait à accomplir dans la maison et lui signifia que l’accès à notre chambre à coucher, dont elle souhaitait assurer elle-même l’entretien, ne lui était pas autorisé.

Soucieux d’améliorer la communication malgré les obstacles, nous souhaitions  intégrer notre employée à notre vie, lors des moments privilégiés des repas. Nous eûmes à déplorer malheureusement son refus de partager avec nous et à notre table la nourriture qu’elle nous préparait : après nous avoir servis elle se retirait  dans la cuisine avec sa part, comme une esclave punie,  installait le couvert à même le sol et mangeait assise par terre.

Ce détail mis à part, le comportement de notre employée nous avait donné satisfaction jusque là.

Un matin pourtant, ma femme me pria d’intervenir : la bonne refusait obstinément d’entreprendre une pièce annexe qui n’avait pas encore été aménagée. Je répétai l’ordre avec douceur, en l’appuyant de gestes significatifs.  En guise de réponse, Krada, comme prise de peur, pointait d’un doigt tremblant les toiles d’araignée qui tapissaient abondamment les lieux. Ses yeux exprimaient la désapprobation que ses paroles incompréhensibles ne pouvaient rendre. J’éclatai de rire et je renouvelai l’ordre avec condescendance en encourageant la peureuse dans un français que l’on qualifie de « petit nègre » : « bébête pas méchante, pas piquer toi, pas te manger…. »

Mon insistance ne reçut pas l’écho attendu car aux yeux effarouchés de la femme s’ajoutait la négation du geste, l’expression de ses mains qui à la fois refusaient et imploraient. Comme pour renforcer son argumentation,  elle criait dans les mots courts de sa langue  gutturale toute la frayeur de son message.

Je commençais à perdre patience et pour me faire bien comprendre, j’empoignai moi-même une  brosse que je dirigeai avec détermination vers un endroit précis du plafond. La démonstration terminée, je lui tendis avec autorité la brosse avec les poils dressés vers le haut qui retenaient les lambeaux tissés  par nos  hôtes indésirables…. Afin d’appuyer le geste, je  donnai à ma voix un ton qui n’autorisait plus aucune réplique. Je lui mis de force la brosse entre les mains.

Elle prit la brosse, sans enthousiasme, résignée, soumise mais  me lança en même temps le froid  regard d’une vipère  tandis que ses lèvres émettaient des mots incompréhensibles mais clairement teintés de mépris à mon égard.

Je me sentis soudainement mal à l’aise comme si toute sa hargne venait de m’être inoculée par une transfusion venimeuse.  Je gagnai, perturbé, le salon mais j’oubliai  rapidement l’incident.

Le soir, ma femme, selon son habitude, se rendit la première dans la chambre à coucher afin d’ouvrir le lit : c’était chez elle un rite de rabattre légèrement la couverture puis de me rejoindre au salon pour m’inviter à gagner le lit conjugal.

Son invitation à la suivre avait un ton inhabituel. Inquiète à l’embrasure de la porte, elle me dit, d’une voix tremblante : « viens voir ». Sur le drap, à l’endroit précis que j’occupais dans le lit, une touffe de cheveux teintés au henné  s’offrait à mon regard incrédule…

Une semaine s’écoula.

Je tombai  gravement malade. Loin de ma terre natale qui m’avait vu grandir en bonne santé, je me sentais soudainement mourir sur une terre étrangère au côté de ma jeune femme impuissante et désemparée.

L’on appela le secours de la médecine et de la religion.

La médecine du bled, pressée, diagnostiqua une hépatite particulièrement virulente, souvent fatale,  prescrivit sans conviction le traitement qu’elle croyait approprié, limité au moyens locaux,  et prit rapidement congé pas du tout curieuse de l’évolution probable de mon état de santé. Comme pour se dédouaner le médecin en burnous précisa que, vu le temps d’incubation habituel du virus, il était probable que j’avais contracté la maladie en Belgique. Il me souhaita néanmoins un bon rétablissement. In Shallah…

La religion prit le temps de rester à mon chevet, en la personne d’un père blanc, missionnaire bientôt à la retraite, qui avait passé toute sa vie dans le Sud algérien. A force de côtoyer les populations rurales, il s’était enrichi de leurs croyances et  avait percé les mystères de leurs coutumes.

Par précaution, le bon père  recueillit en confession les turpitudes secrètes de mon âme mais ne crut pas nécessaire de m’administrer les derniers sacrements.  Il me confia, sous le ton de la confidence, que mon attitude à l’égard de la bonne n’était pas étrangère à mon état de santé et, pour étayer sa thèse, il me raconta l’épisode de l’araignée et du prophète, dont je compris confusément la portée

L’on frappa à la porte. Ma femme alla ouvrir et revint blême.  « C’est Krada » lança-t-elle.

« J’y vais », répondit le père blanc et il se dirigea vers la porte d’un pas déterminé.

Il revint, quelques minutes après s’être entretenu avec elle. Contrairement au médecin, le père me rassura avant toute chose,  quant à l’évolution de ma maladie. Il insista de nouveau sur ma maladresse à l’égard de la bonne et à l’affront involontaire que je fis à sa religion, ou plutôt à sa croyance. Il poursuivit, conciliant : « Cette femme ne vous fera plus de mal mais ne lui autorisez plus l’accès de votre maison ».

Et de poursuivre : « comme il n’y a qu’un seul Dieu, celui des Musulmans est, sans aucun doute le même que le vôtre. Demandez à ce Dieu le pardon pour vos offenses et pardonnez de même à ceux qui vous ont offensé ».

Les jours passèrent et je recouvrai la santé, me laissant dans une perplexité qui ne m’a jamais quitté et dont, par cette narration, je vous fais partager le trouble…. »

Avec l'aimable permission de l'auteur : GUY  RAU

TOURNAI BELGIQUE

E-Mail : agetospartaseuandro@yahoo.fr

Blog :  http://fr.360.yahoo.com/agetospartaseuandro  

 

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