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15/11/2011

Dr Éric GUINEMENT, ex-gynécologue "à la chaîne"

 

La Roche-sur-Yon, nuit tombante, avenue napoléonienne tirée au cordeau, deux rangées de platanes aux moignons noirs. Une maison, ni cossue, ni popu. Sur la plaque :

" Dr Éric GUINEMENT

Médecine générale

Sur rendez-vous "

 

Dans le couloir, le dernier patient s'éclipse. Le docteur est là sous le halo de la lampe. Éric Guinement se laisse aller calé dans son fauteuil: "Ce qui a changé depuis dix ans, c'est la part grandissante du social. Les gens attendent qu'on les rassure. S’imaginent que tout peut être réparé. Exigent un scanner pour un mal de tête"

Que répondez-vous à cela docteur?

" Je résiste. J'écoute. J'explique. Soupir.  Malheureusement, nous n'avons pas le temps... "

 

Ah, le temps ! Éric Guinement court après, l’impuissance rageuse. Lui qui, par conviction, a tout fait pour qu'il en soit autrement.

Refusant de "bâtir une clientèle en distribuant des arrêts de travail". Refusant "d’asséner des prescriptions sans négocier". Non, non et non ; tout sauf l'abattage à 12 000 patients par an, un toutes les six minutes. Lui, s'est calé sur 25 consultations par jour, une moyenne de vingt minutes par tête de pipe. Oui, un choix pour ce fils de vétérinaire vendéen, attiré par la médecine généraliste car banalement "intéressé par les rapports humains". De sa coopération en Algérie – gynécologie à la chaîne pour une population démunie – il a débarqué ici, la "honte" au coeur, face à notre "extrême sophistication médicale".

 

Docteur Guinement, de quoi souffrons-nous, aujourd’hui ?

- Du côté des pathologies organiques, cela s'améliore, pourtant je ne suis pas sûr que la santé aille mieux. "Problème numéro un : le grand âge. "Beaucoup de gens vieillissent dans de mauvaises conditions. On n'a pas prévu la population exponentielle des plus de 80 ans. Ils subissent l'éclatement de la famille, ont un sentiment d’abandon. Au moindre pet de travers, le seul interlocuteur, c’est le médecin"

 

Souffrance plus globale, la solitude : " Depuis quelques années, surgit une lourde demande de prise en charge psychologique à laquelle nous ne sommes pas préparés. "La vraie obsession du moment, c'est l’image du corps" Les gens sont accrochés à une image d'eux-mêmes. Quand il n'y a pas d'adéquation, ils souffrent.

Enfin, pout tout le monde, il y a la grande peur muette de la mort: "Les personnes âgées l'évoquent, mais c'est à nous de faire les premiers pas de prononcer le mot. Notre société a désappris à vivre avec la mort. Il faudrait la remettre à sa juste place et, quand on parle de maladie, ne pas oublier qu'elle est là, au bout. Mon rôle, c'est d’essayer d’accompagner les gens psychologiquement jusqu'au terme de leur vie. Cela demande beaucoup d'énergie et de temps."

 

La porte se referme. Il est très tard. Dans la rue, les platanes veillent, le silence est total. La ville dort sur ses deux oreilles. Rassurée.

 

Georges GUITTON

Journal Ouest-France

 

La-Roche-sur-Yon_Rue-Clemenceau.JPG

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