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19/12/2010

Tierno Monénembo, Écrivain franco-guinéen, Prix Renaudot 2008

 

 

«Je suis une espèce d’enfant perdu qui s’est raccroché à la littérature », aime à dire le lauréat 2008 du prix Théophraste Renaudot. Cette affirmation définit bien le parcours du Franco-Guinéen Tierno Monénembo, qui appartient à cette famille d’auteurs pour qui la survie passe par l’écriture. C’est donc une sorte de justice poétique qui s’est accomplie le 10 novembre, lorsque le jury du Renaudot 2008 a décidé de le distinguer pour Le Roi de Kahel. Ce prix est le couronnement d’un livre, mais aussi d’un écrivain qui a construit, en l’espace d’une trentaine d’années, une œuvre exceptionnelle à la mesure des heurs et malheurs du continent dont il est originaire et qui n’a jamais cessé de l’habiter.

 

 

Tierno Monénembo.jpgTierno Monénembo – Thierno Saïdou Diallo de son vrai nom – est né en 1947 à Porédaka, dans le Fouta-Djalon, une région habitée par les Peuls. Élevé par sa nénembo (« grand-mère » en peul), d’où il tirera son nom de plume, moné signifiant « petit-fils », le futur écrivain grandit dans la Guinée coloniale, puis dans celle de Sékou Touré, de sinistre mémoire, qu’il fuit à l’âge de 22 ans, comme l’ont fait 3 millions de Guinéens menacés dans leur chair par les sbires de l’un des dictateurs les plus sanguinaires de l’histoire contemporaine africaine. Comme l’ont fait aussi nombre de ses compatriotes écrivains : Camara Laye, Djibril Tamsir Niane, Alioum Fantouré, William Sassine, Saïdou Bokoum… Une génération d’intellectuels sacrifiée, condamnée à l’exil et à la précarité.

 

Après avoir vécu au Sénégal, puis en Côte d’Ivoire, Monénembo arrive en France en 1973. Il s’inscrit à l’université pour étudier la biochimie. Pour payer ses études, il fait de nombreux petits boulots, dont celui de balayeur dans un supermarché de Lyon. Pendant ses heures de repos, il prend des notes dans un cahier, qui deviendra plus tard un roman, son premier roman, Les Crapauds-brousse. Parallèlement, l’écrivain soutient sa thèse de biochimie. Naturalisé français, il devient assistant à la faculté de médecine de Saint-Étienne. En 1979, dans le cadre de la coopération, il part enseigner en Algérie, puis au Maroc. De retour en France, il trouve un poste à l’université de Caen, en Normandie.

 

Au cours de sa période de formation, l’écrivain croit encore au mythe du Grand Soir ; il pense que les dysfonctionnements de l’Histoire peuvent se régler à coups de poing. Fervent maoïste dans les années 1970, Monénembo a longtemps milité au sein des mouvements gauchistes, notamment dans la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF). Mais face à la faillite des mouvements populaires, qui ont trahi leurs idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité dans le Tiers Monde libéré du joug colonial, le jeune Guinéen déchante et fait le constat douloureux « que la politique n’était que fumisterie et que l’avenir se trouvait dans le roman ». « Entre la colonisation et l’indépendance, je ne saurais te dire laquelle est la pire », fera-t-il dire plus tard à l’un de ses personnages.

 

C’est cette prise de conscience brutale de l’échec du politique – et le mal de vivre qui en résulte – qui pousse Monénembo à se jeter tout entier dans l’écriture. Il veut oublier sa condition d’exilé. Il veut surtout se convaincre que « la pauvreté et l’humiliation » ne sont pas des tares. Son premier roman, Les Crapauds-brousse, paraît en 1979 aux éditions du Seuil. Rédigé en grande partie pendant ses nuits d’insomnie, ce roman est publié la même année que La Vie et demie, de Sony Labou Tansi. Les deux livres sont de véritables réquisitoires contre la dictature, la lâcheté et la corruption, avec pour armes l’humour, la cocasserie, l’ironie et l’éclat de rire. Ils inaugurent une série d’ouvrages dénonçant les tyrannies et les goulags tropicaux, un genre qui occupe une place prépondérante dans la littérature africaine au tournant des années 1980.

 

Après une pause de sept ans, Monénembo publie, en 1986, son deuxième roman, Les Écailles du ciel, couronné par le Grand Prix de l’Afrique noire. Suivront Un rêve utile (1992), Un attiéké pour Elgass (1993), Pelourinho (1995), Cinéma (1997) et L’Aîné des orphelins (2000), dont l’action s’inspire de la tragédie rwandaise. Très différents les uns des autres, ces récits menés avec brio et économie de moyens ont en commun les thèmes de l’exil, de l’errance, de la mémoire communautaire, le deuil du pays confisqué, le désenchantement politique, la folie, la condition des laissés-pour-compte. Que l’action se déroule à Salvador de Bahia, au Brésil, à Abidjan ou dans la banlieue lyonnaise, on n’est jamais très loin du pays natal de l’auteur, dont l’absence physique est transformée en présence incandescente par une exploitation habile du sentiment de manque et de nostalgie. À mi-chemin entre la littérature moderniste d’un Joyce, ou d’un Faulkner, et l’oralité des contes et légendes peuls qui ont bercé son enfance, les romans de Monénembo surprennent et réjouissent.

 

C’est dans cette lignée que s’inscrivent les deux derniers opus du Franco-Guinéen : Peuls (2004) et Le Roi de Kahel (2008), des épopées qui sollicitent et célèbrent l’histoire et la mémoire de la communauté peule, dont l’auteur est issu. Une histoire et une mémoire dont Tierno Monénembo ne s’est jamais réellement coupé, même si l’exil l’a éloigné de la géographie de son imaginaire. Aussi, son souhait le plus ardent semble être de réintégrer un jour cette géographie : « Ma vie telle que je la vis depuis trente-quatre ans est provisoire. Mon destin, c’est de vivre en Guinée, ne serait-ce que dans mon village, voir les tombes de mes ancêtres… Je rentrerai. »

 

D’une grande humilité, presque effacé, d’une apparence fragile, jusque dans sa démarche, Tierno Monénembo est une mémoire vivante. S’il aime débattre, défendre son point de vue sur une Afrique à ses yeux terriblement désespérante, il ne rechigne pas à évoquer, comme autant de précieux témoignages, des souvenirs personnels, ses années de lycéen dans la Guinée de Sékou Touré, ses pérégrinations dans des pays d’Afrique occidentale, son installation en Europe, sa vie de coopérant français au Maghreb… Mais aussi ses rencontres littéraires aux quatre coins du monde. De quoi remplir quelques tomes de Mémoires. Assurément, le lauréat du prix Renaudot 2008 est de la race de ceux qui, un jour, peuvent s’exclamer, à l’instar du poète chilien Pablo Neruda, « j’avoue que j’ai vécu ! ».

 

 

Par Tirthankar Chanda

 

 

Tierno Monénembo_Le roi de Kahel_2008.jpg

Source : Jeune Afrique

 

 

12/12/2010

Enquête auprès d'anciens coopérants (DCC-1997)

 

"Ce temps de coopération a été un temps fondateur pour moi. Il y a un avant et un après mon passage en Afrique. Extraite de mon milieu d'origine, j'ai été provoquée à faire appel en moi à des ressources jusque là ignorées. Dans la rencontre-choc avec une autre culture, un autre milieu, une autre façon d'être au monde, mon séjour là-bas m'a ouvert des horizons insoupçonnés, a changé mon regard sur l'Autre, me permet de relativiser les situations et d'aller à l'essentiel. J'ai sûrement plus reçu que je n'ai pu donner : 20 ans après j'en cueille encore les fruits".

 

Ce témoignage de Pierrette est une parfaite synthèse de ce qu'ont vécu et vivent encore aujourd'hui des dizaines de milliers de coopérants ou volontaires partis au cours de ces trente dernières années. Partir en coopération n'est pas seulement une expérience extraordinaire de deux ou trois ans, c'est aussi une étape décisive dans l'histoire d'une vie.

Afin de démontrer cela au-delà du témoignage individuel, le réseau des volontaires de retour, créé en 1992 à l'initiative de la DCC (Délégation Catholique pour la Coopération) et de quelques anciens volontaires et comptant maintenant mille membres, a lancé une enquête. Celle ci se présentait sous forme d'un questionnaire, composé de onze chapitres, diffusé à 450.000 exemplaires par voie de presse (celle des partenaires : du CCFD, de la DCC, La Croix, La Vie, Croissance, Le monde en développement) et par le milieu associatif (le CLONG). L'enquête a démarré en février 97 pour une durée de 4 mois. Elle couvre la France entière. Plus de 4000 réponses ont été traitées par informatique. À l'heure où les réflexions sur l'intérêt d'une telle expérience vont bon train du fait en particulier de la restructuration liée à la suppression du service national, l'enquête apporte un éclairage nous semble-t-il intéressant.

La quasi totalité des réponses provient d'anciens volontaires partis dans le cadre d'ONG et d'anciens coopérants du service national. Les coopérants en entreprise constituent moins de 2% des réponses alors qu'ils représentent près de 90% des expatriés français. Ceci semble démontrer qu'ils ne se considèrent pas comme coopérants dans le sens : "rencontre avec une autre culture et aide au développement".

- 97% des anciens coopérants jugent cette période importante dans leur propre vie, même pour ceux rentrés depuis plus de trente ans.

- 42% de ceux partis dans le cadre associatif considèrent que cette expérience a eu une influence "capitale" sur leur vie actuelle (contre 30% de ceux partis avec l'Etat). Les différences qualitatives entre une coopération par une ONG ou par l'Etat ressortent d'ailleurs à travers de nombreux indicateurs de l'enquête.

- Les deux principales motivations au départ sont : rencontrer des gens d'une autre culture (70% l'évoquent), et aider au développement du Tiers Monde (66%).

- Plus de 80% d'entre eux estiment que leur présence a été bénéfique pour le projet pour lequel ils ont travaillé.

 

Une expérience qui a des retombées sur toutes les sphères de la vie des anciens coopérants.

- 53% d'entre eux estiment que cette coopération a une influence sur leur vie professionnelle, 47% sur leur rôle de citoyen, 37% sur l'éducation des enfants et 22% sur leurs choix financiers.

- La moitié d'entre eux sont actifs dans le milieu des associations de solidarité.

- 91% précisent que cette expérience les a rendus plus ouverts à d'autres cultures, même si 1,9% disent être revenus moins tolérants pour d'autres religions.

- 60% d'entre eux poursuivent une relation épistolaire avec des personnes de leur ancien pays d'accueil, et 39% les accueille ici en France.

Cette enquête fait actuellement l'objet d'une exploitation plus approfondie. Elle démontre à l'évidence la richesse de ce qui a été vécu et reçu par tous ces coopérants. Tous affirment à quel point ils ont plus reçu que donné. Leur regard sur les pays dans lesquels ils sont allés ne témoigne pas d'une rencontre avec des miséreux ou des incapables mais avec des hommes et des femmes qui ont, comme chacun d'entre nous, vocation à vivre debout ! Cette expérience permet de prendre conscience que la question du développement n'est pas une problématique qui ne touche que les pays du Sud mais aussi nos pays. Les exclusions économiques et sociales se retrouvent partout. Vouloir aider d'autres à transformer leur quotidien nécessite une conversion personnelle. Une expérience de coopération peut en être le ferment.


 

D'après : Enquête auprès d'anciens coopérants.

Principaux résultats.

Opération "Appel à Témoins" menée par le "Réseau des volontaires de retour".

DÉLÉGATION CATHOLIQUE POUR LA COOPÉRATION.

 

France, 1997/08, 12 p.

 

 

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Fiche : Partir en coopération, découvrir l'autre pour se redécouvrir soi-même, établie par DEROLEZ, Manuel. BULTEAU Marc
 

 

02/12/2010

Venu pour un service civil, il est resté 42 ans (Pierre LAFITTE)

 

 

Venu à l’âge de 25 ans pour un service civil, il est resté 42 ans !

“L’Abbé Pierre” algérien vient de nous quitter

 

De son Saint-Jean-de-Luz, village côtier du Pays basque, il est venu dans les années 70, effectuer un service civil caritatif en Algérie. À Belcourt, au 41 Boulevard Nécira-Nounou, et c’est là que je l’ai connu, dans sa paroisse dirigée par l’abbé Scotto, une association de quartier s’y était installée pour donner des cours du soir, à titre bénévole, aux enfants de Belcourt. Il en était le directeur, mais balayait après les classes. Ammi  Ramdane ne cessait pas de le taquiner, et Niaf, l’ours blanc, essayait en vain de lui arracher des mains ce foutu balai. Étudiant, je donnais des cours de français en échange d’une chambre. Le dimanche, Tahar  Djaout venait nous voir et on parlait de l’Algérie et de l’Algérie. Qu’il aimait comme on aime un premier amour.

 

Pierre LAFITTE_ph-Mohamed RAHAI_1965.jpg

 

Il m’a connu célibataire, il a été témoin de mon mariage. Il a fait visiter le château de Versailles à ma fille dans sa poussette, elle a aujourd’hui 30 ans. Elle a fait ses premiers pas chez lui, puis s’est abonnée à la bibliothèque de médecine à la rue Zabana, vingt ans après.

 

Après la fermeture de l’école de rattrapage de Belcourt, Pierre Laffitte est parti enseigné à Mahdia, dans la wilaya de Tiaret, les mathématiques. Deux ans après, il a travaillé à la bibliothèque du CCU, à la rue Hamani (ex-rue Charras), avec Carmen qui nous gavait de lait au chocolat avant de rejoindre l’amphithéâtre d’en face et affronter Benachenou ou un autre prof.

 

Ensuite, il s’est consacré corps et âme à la bibliothèque de médecine de la rue Zabana. Il se faisait acheter par des âmes charitables un exemplaire de livre qu’il reproduisait à souhait sur sa photocopieuse inusable pour ses étudiants, aujourd’hui professeurs de médecine. La dernière fois que je l’ai vu, il y a exactement une année, il m’a avoué qu’il connaissait 56 professeurs et maîtres assistants qui sont passés chez lui, et qu’il a été invité au mariage de 34 d’entre eux.

 

Le temps passe vite. Je l’ai invité pour une réception le 28 novembre, c'est-à-dire dimanche dernier. Il n’est pas venu. Il était hospitalisé. Et il vient de nous quitter.

 

 

 

Repose en paix. Pierre.

 

Outoudert ABROUS

Liberté

2 décembre 2010