07/09/2010
La caméra, une arme « pacifique » (René VAUTIER) extrait 2
René Vautier : … Je me suis donc évadé, puis je suis revenu après avoir été téléphoner d’une ferme à côté à des responsables tunisiens. Je ne savais pas qu’il y avait des conflits internes dans la révolution algérienne et je suis tombé sur un gars qui est devenu un bon copain ensuite, qui m’a dit « On ne savait pas que tu étais là, on croyait que tu étais prisonnier des Égyptiens. » Puis ça s’est mal passé, on avait dit aux gardiens algériens que je m’étais évadé, que j’allais me rendre à l’ambassade de France, que la prison allait être bombardée… Donc, on m’a, pas scientifiquement, mais c’est vrai qu’on m’a torturé. Je pouvais difficilement râler, parce que les gars m’ont dit qu’ils avaient appris à torturer à la bonne école, dans l’armée française en Indochine. Donc on sait torturer les gens, et on va te faire parler, mais ils n’ont pas réussi.
A. Doinel : À ce moment-là, vous ne doutez pas ? Vous gardez la foi, l’espoir dans le combat anticolonialiste ?
René Vautier : Oui, toujours ! J’ai pu par l’intermédiaire d’Algériens qui étaient aussi en prison, mais qui avaient le droit de voir leur famille, sortir une lettre pour mes enfants. Parce que le problème, c’est que je ne pensais pas que je m’en sortirais. Et je ne voulais pas que mes enfants deviennent racistes. C’est une révolution qui a des problèmes et si je ne rentrais pas, il ne faudrait pas qu’ils deviennent anti-algériens. La lettre existe toujours, c’est devenu un truc historique ! Finalement, j’ai été libéré et c’était en 1960 ; les Algériens ont organisé une diffusion du film en Tunisie en disant « c’est le Français qui l’a fait, c’est notre frère, c’est notre camarade », et je suis resté faire des films sur les enfants orphelins de guerre algériens et former des opérateurs algériens, à la frontière algéro-tunisienne.
Ensuite, en 1962, entre le cessez-le-feu et l’indépendance, je suis rentré en Algérie et on a décidé de créer un centre de formation audiovisuelle, avec les copains algériens qui avaient été au maquis avec moi en 1957-58, pour promouvoir un dialogue en image entre Français et Algériens. Ça a donné un film qui s’est appelé Peuple en marche, dont on avait tenu qu’il soit développé en France puisque la guerre était finie. Et il a été détruit, le négatif a été détruit au laboratoire, en France, par la police*.
Je suis resté jusqu’en 1965-66 en Algérie, ma femme et mes gosses étaient venus me rejoindre là-bas, mais je ne tenais pas non plus à en faire des petits Algériens : alors je suis rentré et je me suis dit qu’il fallait que je comprenne et que je donne la parole à des Français qui avaient fait la guerre d’Algérie. Il fallait avoir l’autre côté pour recréer aussi un dialogue sur ce plan-là. Donc j’ai enregistré des centaines d’heures de témoignages d’appelés et de rappelés et à partir de ça, j’ai bâti le scénario de Avoir 20 ans dans les Aurès. Il y avait presque dix ans qui s’étaient passés depuis la fin de la guerre d’Algérie et je tenais à ce que ça soit tourné avec des acteurs, mais dans des conditions les plus proches possibles de ce dont ils témoignaient. Et puis on a eu l’appui d’une commission du Centre national du cinéma et on a tourné avec des problèmes de tous les côtés. Côté français, évidemment ça ne s’arrangeait pas très bien, je n’ai jamais trouvé un producteur mais on avait créé l’Unité de production cinéma Bretagne avec des copains. Et c’est l’Unité de production cinéma Bretagne qui a produit le film.
A. Doinel : Il s’agissait d’une coopérative ?
René Vautier : Ça avait une forme coopérative, mais à l’époque les coopératives devaient verser 30 millions de centimes qu’on n’avait pas, les sociétés d’auteurs pouvaient être elles-mêmes réalisatrices, mais ne pouvaient pas s’adresser à d’autres réalisateurs. Et j’avais l’intention de le réaliser moi-même. Donc c’était une société d’auteurs dont j’étais le gérant. Et puis on a trouvé des tas de techniciens qui avaient fait la guerre d’Algérie, des figurants, des acteurs algériens, un lieu de tournage à la frontière algéro-tunisienne et des acteurs, dont Philippe Léotard, qui acceptaient de travailler au minimum syndical.
Théoriquement, il nous fallait 7 à 11 semaines pour tourner le film, et on s’est dit, avec l’argent dont on dispose, on ne pourra tourner qu’une semaine. Donc on s’est arrangé pour trouver une forme d’improvisation chez les acteurs à partir des textes qu’ils entendaient, des souvenirs des gens qui racontaient leur vécu pendant la guerre d’Algérie. Les acteurs devaient, à partir de là, imaginer ce qu’ils auraient fait eux, et ils l’ont joué un petit peu comme de la commedia del arte, qui était aussi un petit peu le type d’invention du cinéma néoréaliste italien.
On a donc tourné comme ça, puis on est rentré monter ; finalement on l’a terminé et il a été sélectionné pour le Festival de Cannes, d’abord dans la sélection officielle, puis enlevé et rattrapé dans la sélection des critiques, et il a eu le prix de la critique internationale. On l’a fait projeter, ça n’a pas toujours été facile mais on a eu le visa.
…
* Quelques courts extraits auraient été retrouvés !
Propos recueillis par A. Doinel (AL Rennes)
au festival Travelling Marseille
Rennes 2004
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