28/11/2007
LiMag, le site du professeur Charles BONN
Interview du professeur Charles BONN (Liberté - 15/11/2000) extrait
"Ce n’est que dans la marge qu’on peut inventer de nouvelles choses"
Le professeur Charles Bonn est l'un des plus grands spécialistes de la littérature maghrébine, qu'il a découverte fortuitement après son affectation, en tant que coopérant, à l'Université de Constantine en 1969.
Il y a passé 6 années durant lesquelles il a ficelé sa thèse de doctorat 3e cycle, en 1972, sur "Imaginaire et discours d’idées. La littérature algérienne d’expression française à travers ses lectures ", sous la direction de l’éminent sociocritique Robert Escarpit, avec la mention très bien.
En 1982, il soutient sa thèse de doctorat d’État sur "Le roman algérien contemporain de langue française. Espace de l’énonciation et productivité des récits ", sous la direction de Simon Jeune.
Entre-temps, il a quitté l’Algérie pour le Maroc où il a continué ses recherches sur d'autres écrivains qui le fascinent, notamment Kateb Yacine, Mohamed Dib, Nabil Farès…
Enfin, depuis quelques années, il a créé un site Internet
qui se veut à la fois une expérience originale et une référence incontournable pour tout chercheur sur la littérature du Maghreb. Ce travail, lui prend plus d’un tiers de son temps.
Sollicité pour nous entretenir sur, aussi bien sa carrière de chercheur que sur la littérature maghrébine, il a accepté avec plaisir et amabilité.
Vous êtes l’un des plus grands spécialistes de la littérature maghrébine. Comment est né votre intérêt pour cette littérature ?
Tout à fait par hasard. Étant étudiant français, je ne connaissais rien à cette littérature jusqu’à ce qu’on me propose un poste, en tant que coopérant, à l’Université de Constantine, en 1968. Suite à cela, j’ai voulu travailler sur un sujet de thèse qui soit en rapport.
Et il se trouve que j’ai entamé et clôturé ma thèse avec Le Polygone étoilé, qui passe pour le texte le plus difficile de cette littérature que j’ai découvert fortuitement dans une librairie. J’ai dû vivre cette résistance comme étant un défi à relever : je suis sorti de ma première lecture sans rien comprendre. C’est justement ce qui m’a poussé à travailler dessus. Entre-temps j’ai, bien sûr, travaillé sur des textes plus faciles.
Les portes et cet univers et référent ont-elles résisté longtemps à vous ?
Étant Alsacien d’origine, je n’avais pas grand-chose à voir avec cette culture, si ce n’est, peut-être, mon bilinguisme. Étant de langue maternelle alsacienne qui est un dialecte allemand, j’ai dû apprendre le français à l’école. Cela me rapproche davantage des expériences linguistiques maghrébines.
Pour revenir à la résistance du texte, je crois que mon cours, à l’époque, qui a fonctionné comme un forum où les diverses idées véhiculées par mes nombreux étudiants, m’a été d’une grande utilité. Pour moi, c’était une sorte de familiarisation vivante et dynamique. Cela a compensé mon handicap de la non-connaissance de l’arabe.
Plus tard, vous avez quitté l’Algérie pour le Maroc. Pourquoi ?
Je me suis dit que 6 ans, ça suffit, surtout qu’à l’époque, la vie en Algérie était à la fois dure, tendue et épuisante. Par ailleurs, le Maroc se présentait pour moi comme un espace de repos. C’était le repos du guerrier.
Vous êtes un défenseur de la francophonie. Quel signifié mettez-vous dans ce signifiant ?
Je ne suis pas un défenseur de la francophonie officielle, c’est-à-dire, la théorie de l’universalité de la langue française, réconciliation entre les peuples… je n’y crois pas trop pour ne pas dire pas du tout. J’y vois des intérêts qui ne sont pas les miens.
Ceci dit, pour moi, la francophonie, je la vois comme un espace de parole de marge. Elle recouvre un ensemble d’identités culturelles non-définies. Je crois que cette non-définition favorise la création. D’ailleurs, cela se voit dans l’inventivité des auteurs dits francophones qui, sur le plan formel, présentent des originalités pendant qu’ils apportent un renouvellement à l’écriture de langue française.
C’est également une sorte de laboratoire des définitions aussi bien de la littérature que des identités culturelles. Je crois que ce n’est que dans la marge, et l’immigration en est une du même ordre, qu’on peut inventer de nouvelles choses dans la mesure qu’on est placé en dehors des définitions consacrées…
Source de l'article : http://dzlit.free.fr/bonn.html
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