01/12/2009
SE PLAINDRE, ALGÉRIE (André CORTEN) extrait 4
Oran l'hiver : pluie, grisaille, suintement. Mais dès février, la lumière prend l'éclat de promesses sans fin. Couleurs surexposées. Clarté plus crue qu'à Tipaza. À Arzew, odeur tenace d'hydrocarbures. Le ciel est d'une blancheur opaque. À Oran, des tas d'ordures brûlent. Depuis longtemps, la saleté urbaine n'est plus mélangée à la senteur de l'anisette. Les façades ne laissent même pas filtrer le vin qu'on boit en cachette et les bars clandestins ne se laissent pas facilement débusquer, même à Oran, ville pourtant réputée moins sévère. La rudesse est là, qui tranche avec le charme ondoyant du Maroc voisin. Rudesse qui trouve un équivalent dans la crudité de la lumière. Équivalent dénaturé. Les genêts fleurissent sur écran d'azur, mais s'y accrochent des papiers, des déchets qui virevoltent dans l'air sec. Les noces entre le soleil et la mer célébrées jadis ressemblent désormais à une carte postale salie par les intempéries. L'imaginaire des « noces » qui pouvaient motiver au départ le coopérant n'est plus. Il a quitté son univers fait d'emploi du temps routinier. Il n'est pas non plus celui du vieil Oranais ni celui du nouveau venu, encore encombré dans ses valises en carton. Le fantasme de douceur infinie est définitivement révolu. Comme si l'Algérien nouveau était en porte-à-faux avec la splendeur du paysage. Ce qui fait sa nature, c'est le manque, le manque d'espace pour se loger, le manque de produits de la terre, le manque de produits manufacturés. Le manque d'intimité des corps entassés. Dans La Chute, Camus parlait de « malconfort ».
Planète Misère (André CORTEN)
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