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30/05/2009

Longtemps, j’ai voulu écrire... (Anna ALTER)



J’ai commencé à écrire quand je suis devenue journaliste. J’en avais envie, je voulais le faire depuis bien plus longtemps mais je ne pouvais pas : c’était le domaine réservé de mon frère Christophe. Il était très doué, il avait un style classique, très travaillé. Enfant, j’étais très admirative, il savait faire des phrases avec des mots compliqués, montrer qu’il était fort en écriture. D’ailleurs, il avait toujours le premier prix de français.

J’en ai eu un moi aussi, en première, et j’ai dédicacé mon livre à ma professeure de l’époque. L’année suivante, en terminale, j’étais dernière… L’expérience a été si traumatisante que, depuis, je doute et me pose régulièrement la question : suis-je dans une phase « première » ? Ou « terminale » ? C’est pourquoi j’ai toujours besoin d’être entourée par des gens en qui j’ai confiance et qui me rassurent lorsque je leur donne à lire mon travail. Je suis très désarçonnée lorsqu’on me dit que c’est mauvais et je choisi mes lecteurs avec soin, de préférence parmi les bonnes copines qui savent prendre des gants.

J’ai donc laissé l’écriture à mon frère pour investir un autre territoire, celui des sciences. Je m’y sentais bien, il était à moi, rien qu’à moi et même si je ne pense pas avoir eu un don particulier pour les sciences, pas plus que pour l’écriture, mes efforts dans ce domaine donnaient rapidement de bons résultats. Je prenais plaisir aux sciences, un plaisir sensuel, et je suis devenue "doktorr astrophysik". Puis je suis partie en coopération en Algérie et, à mon retour, j’ai rompu avec elles. Je suis devenue journaliste. Avec, toujours, quelque part en moi, cette idée qu’un jour j’écrirais pour de vrai. Le journalisme aussi me demandait beaucoup d’efforts mais ce n’était pas un aboutissement, pas une vocation. J’ai fait des livres de journaliste par la suite, que je considère comme des gammes avant le « vrai » livre. Christophe me gênait et je n’ai pu écrire autre chose, ce dont j’avais envie, qu’après sa mort. J’ai pu alors braver l’interdit

Le roman, une réinvention du monde.

Je n’ai jamais eu envie d’inventer un personnage, parce que cela n’a aucune importance pour moi. Qu’il soit fictif ou réel, un personnage ne devient un personnage que par la manière dont il est raconté, grâce au relief que lui donne l’écriture. Ecrire est une interprétation de la réalité, et le roman commence dès qu’on a un regard sur les choses. Un grand romancier n’est pas nécessairement celui qui bâtit des intrigues, mais celui qui pose sur le monde, sur son monde, sur ces contemporains, sur lui-même, un regard particulier. Cela n’a rien à voir avec l’auto-fiction, le « moi-je », bien au contraire ; c’est un regard distancié.
Je vis ma vie à plat, et je lui donne du relief par l’écriture. Un relief biaisé, parce que je la vois à travers d’autres yeux que les miens : ceux d’une petite fille dans mon premier roman, d’une adolescente dans le second et d’une adulte dans le troisième, pas forcément celle que je suis maintenant. C’est de la réinvention plutôt que de l’invention. J’aime regarder les choses à distance, de très loin, puis relier entre eux des évènements qui n’ont peut-être aucun lien dans la réalité. Le monde est une voûte céleste piquetée d’étoiles que j’assemble les unes aux autres par la pensée pour former des constellations qui n’existent que pour moi. C’est cela, avoir un regard. Les données de la vie sont exceptionnelles, je n’ai pas besoin d’en rajouter de nouvelles avec mon pauvre cerveau. A moi de savoir faire partager.


Je ne regrette pas de l’avoir fait, même si c’est beaucoup d’énergie dépensée pour un résultat, en termes de ventes, assez médiocre. Mon livre n’est pas encore mort, il court toujours, deux ans après. Mais a-t-on vraiment envie de se vendre ? Pour moi, le plus important a été de pouvoir rencontrer des gens qui l’ont lu, l’ont aimé, sont en osmose avec lui. Puis il y a toujours l’espoir que le temps décante, que mon livre soit considéré comme « quelque chose » par rapport aux « riens » vendus à 300 000 exemplaires. Il est aujourd’hui plus facile de vendre du vent, mais ce n’est pas une raison pour faire du vent.

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Commentaires

Je suis heureuse de me retrouver sur ce blog, moi qui ai été aussi coopérante en Algérie de 1976 à 1978.

Écrit par : anna alter | 14/07/2009

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